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Un voyage dans un lieu où personne ne souhaite aller

Caroline de Bodinat, journaliste et auteur orléano-solognote dont nous avons évoqué dans nos colonnes il y a quelques années son second livre, Dernière cartouche, a fait paraître en octobre, Demain dès l’aube, récit tiré de son immersion pendant près d’un an au sein des entreprises funéraires Caton et Caton-Péquignot Entretien avec l’auteur qui a vécu l’univers des « croque-morts » de l’intérieur.
« J’ai voulu écrire ce livre car je n’avais pas bien vécu la perte de mes proches, n’ayant pas eu la force de faire les démarches suite à leur décès car j’avais perdu pied, reconnaît Caroline de Bodinat. L’entreprise Caton a accompagné la moitié des obsèques auxquelles j’ai assisté. À force de les côtoyer lors des funérailles de ma famille, j’ai pris conscience de la façon dont ils épaulent les familles dans ces moments difficiles. Leur slogan est d’ailleurs « Une famille au service des familles ». J’ai pris conscience de leur engagement lorsque j’ai perdu mon beau-père, victime de la première vague du Covid. Il a été transporté aux entrepôts de Rungis, ce qui était pour moi terriblement choquant, je connaissais Rungis car j’ai travaillé dans l’agro-alimentaire. Il était impossible pour moi qu’il demeure dans de telles conditions. J’ai donc appelé Pascal Caton qui l’a sorti de là afin que ses obsèques se passent de façon décente. Je me suis rendue compte que le travail de cette entreprise qui s’effectue dans l’ombre était très important. Cela m’a ouvert les yeux et j’ai souhaité passer du temps avec ces salariés du funéraire afin d’en savoir plus sur leur métier, bref, de passer de leur côté. Les conditions du départ de mon beau-père et le rôle qu’a joué Caton pour arranger les choses a été un excellent déclencheur pour vouloir aller avec eux et comprendre les métiers du funéraire qui sont extrêmement codifiés, bref pouvoir vivre de l’intérieur ces fonctions afin d’écrire un livre sur le monde du funéraire. »

Être vivant pour les morts
Cette démarche peu commune ne fut pas facile pour l’autrice qui fut plongée dans les pompes funèbres près d’un an en 2021 et 2022. « Au début, ce monde me faisait peur, confie-t-elle. Les équipes des entreprises Caton m’ont fait confiance, même si je ne savais pas où je mettais les pieds. Ils m’ont protégée et c’est grâce à eux que j’ai pu mener cette démarche à son terme. Ils m’ont véritablement aidée et accompagnée. En m’invitant dans leur univers, ils m’ont permis de me forger un mental. Au début, j’ai observé et appris avant de m’y mettre véritablement à leurs côtés. Il faut être fort pour travailler dans ce domaine et être extrêmement vivant pour s’occuper de la mort d’autrui. Il s’agit d’une profession de l’intime qui accompagne les gens jusqu’à l’ultime départ de leur proche. On ne mesure pas l’importance de ce travail fait dans l’ombre et extrêmement codifié. Les professionnels du funéraire ne parlent pas de leur métier car il y a des choses qui ne se partagent pas à l’extérieur. Leur monde n’est pas évident à pénétrer car il y a un langage, un code, des échanges qui se font souvent uniquement par le regard. Bref, j’ai dû apprendre l’alphabet et la grammaire propres au milieu des pompes funèbres. Je m’étais engagée à abandonner la distance que je pouvais avoir avec ce monde, même si je ne pouvais plus le partager avec mes proches. J’ai aussi ressenti le sens du mot pénibilité du métier car il y a des défunts qui vous touchent davantage que d’autres. Nous n’avons que quelques heures pour comprendre les relations entre le défunt et sa famille, tout en ressentant les émotions de ce deuil afin de proposer une cérémonie la plus personnifiée possible. La mort n’est pas belle à regarder et s’y confronter n’a rien d’attirant. Ma rencontre avec la thanatopractrice m’a permis de comprendre l’importance de son métier qui est de rendre une dignité aux défunts. On ne ressort pas indemne d’une telle expérience et cela a été très dur pour moi de reprendre les notes que j’avais prises pour rédiger mon livre. »

Hommage aux acteurs de l’ombre
Caroline de Bodinat tient à préciser qu’elle « n’a pas écrit un livre sur la mort mais sur les personnes qui sont confrontées aux moments les plus intimes des gens à l’aube de leur vie. Lors du Covid, on applaudissait les soignants mais pas les employés de pompes funèbres.
Je souhaite par mon livre dédramatiser le monde du funéraire car ce que l’on ne connaît pas fait peur. J’y parle des vivants que l’on ne regarde pas et qui prennent soin de nos défunts. J’ai voulu expliquer leur métier afin qu’ils en soient fiers. Le salaire moyen d’un employé de pompes funèbres est le SMIC. Leur métier manque de reconnaissance à tout point de vue et j’ai souhaité par mon livre leur rendre hommage. Je me suis attachée à ceux que j’ai côtoyés lors de mon immersion car ce sont des gens comme nous tous. Ils m’ont ouvert la porte de leur monde tout en me laissant la liberté de partir si je le souhaitais. J’ai écrit ce livre pour les 25 000 personnes qui travaillent dans ce secteur et qui ne parlent pas de leur métier, alors qu’ils peuvent être fiers de ce qu’ils accomplissent. Je me suis attachée à relater ce que j’ai vu et vécu avec eux de la façon la plus juste possible afin de ne pas les trahir car ils m’ont mené avec sincérité dans des choses très intimes. »
F. M.
Demain dès l’aube par Caroline de Bodinat. Éditions Flammarion.

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