Début juin, chacun le sait c’est lunettes de soleil dans les tribunes, raquettes sur le court, juge de ligne dans les bâches, et France 2 qui relaie France 3 pour voir tous les matches de tennis du tournoi de Roland-Garros. Le marronnier parfait pour tuer dans l’œuf les velléités des manifestants contre la loi travail, envoyer se coucher tous les nuits debout, embrasser la police, rouvrir les stations services et tout le toutim. Roland-Garros c’est le Kaori tree qui cache la forêt. Et pif, paf, l’orage est arrivé. Plouf, plouf, les pieds dans l’eau, la rivière a débordé. Glouglou, les meubles ont été submergés, les souvenirs et les photos aussi… La terre battue n’était plus seulement détrempée et une bâche tirée sur le court n’était plus suffisante !
« On peut arrêter l’eau. On ne peut pas arrêter la flotte …» Gare à vous intellectuels à la pensée unique. Pas de rires en coin. Ces évidences ne sont peut-être pas d’une grande clarté mais sont marquées du sceau de l’observation de la nature et des éléments. En deux courtes phrases, c’est toute la genèse des récentes inondations qui refont surface. Ben oui, l’eau on peut l’arrêter en tournant le robinet. Ben non, la pluie, le ruisseau, la rivière, la flotte quoi, on ne peut la stopper d’un simple geste mécanique. La modernité a beau frapper tous les jours à votre porte, ce sont bien les choses les plus simples qui entrent à l’intérieur de votre maison, par le garage ou par la cave. On aura beau dire, l’écran géant, même plasma, ne peut rien contre une pluie diluvienne ou un retour aux sources.
Il a plu partout. On a baigné partout. Et comme Paris est aussi le centre du monde de chez nous, il fallait que les inondations soient aussi parisiennes. La Seine a daigné chatouiller le nombril du zouave du pont de l’Alma. Ouf, sauvé, la France entière est sous les eaux puisque Paris a eu sa crue. Les journaux télé pouvaient enfin parler d’autres choses que de ces bleds perdus comme Romorantin ou Nemours. Partout dans l’hexagone, comme un leitmotiv, chacun a eu sa part de crue, son alerte rouge ou orange, son plan ORSEC et même Hors Sec pour certains. Des quidams évacués ont du aller dormir dans un gymnase. Des prolos, des pas prolos, des retraités, des commerçants, des artisans, qui perdent en quelques heures leurs quelques biens ou leurs outils de travail, pas grands mots dans les colonnes de nos quotidiens, plus maîtresses du fait divers que de l’information. Pour ne pas avoir à parler de son voisin, chacun a mesuré les centimètres d’eau infiltrés par-ci, par-là, du côté de chez soi. A force de jouer à savoir qui c’est qui a la plus grosse on en a presque oubliés ces gens qui avaient pris l’eau ! Une route coupée une demi-journée, deux caves humides, cela méritait bien une page là où une photo-légende se suffisait. On en a fait des tonnes pour pas grand-chose alors que, quelques kilomètres plus loin, une ville inondée n’avait même pas droit de citation… Pas le même département, pas la même ville, presque pas la même région, plus du tout le même pays. Pas les mêmes gens certainement. Et on ne s’explique toujours pas la peur des migrants, de ces gens de si loin qui se noient en mer plutôt qu’en rivière ! La compassion et l’empathie s’arrête bien souvent au bout de la digue, et elle n’est pas souvent bien longue. Le panneau de fin n’est pas si distant. Après c’est l’inconnu.
François 4 aurait pu nous la faire Mac Mahon du XXIe siècle et déclarer devant l’ampleur des dégâts un nouveau « que d’eau, que d’eau » à entrer dans l’histoire. Que nenni ! Pour une fois, on ne peut pas lui en vouloir sur ce coup-là. Il est juste passé voir ce qu’il en était. Certains ont bramé parce qu’il est venu justement. Les mêmes auraient beuglé s’il ne l’avait pas fait. François est peut-être le seul président qui fait venir la pluie mais quand même, il ne faut pas le confondre avec Noé. L’arche ce n’est pas lui qui allait la construire. Lui c’est les paquebots pour le chantier naval de Saint-Nazaire. A la limite quelques avions pour l’Inde… François, c’est la réduction du chômage, la diminution du déficit de la France. Si, si, c’est ça qu’il a dit. On ne peut pas, en plus, lui demander de pomper comme un simple Shadock. Outre le Ga-Bu-Zo-Meu on entend encore le devin plombier de la fin des années 70 expliquer que « Il vaut mieux pomper d’arrache-pied même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ». Un précepte sur lequel devrait méditer le prédécesseur de François, celui qui marche bizarre à cause de ses talonnettes, celui qui ne veut plus que les travailleurs s’expriment dans la rue, ou alors pas trop fort, et surtout pas avec la CGT, celui qui a placé la charge présidentielle à son propre niveau d’analyse afin quelle ne puisse pas descendre plus bas.
Peu à peu, l’eau a donc été pompée. Peu à peu, à l’image d’étudiants sages, les rivières retrouvent leurs lits et reprennent leurs cours. D’un cours à un autre court nous n’avons même pas parlé de Roland-Garros, de la victoire de Djoko, de la jeune fille blonde assise à côté de… Décidément les marronniers ne sont plus ce qu’ils étaient. Comme les saisons semble-t-il !
Fabrice Simœs