Notre « Chronique du Berriaud » du 26 mars (N°92) a réveillé bien des souvenirs chez nos lecteurs. Parmi ceux-ci, le témoignage le plus émouvant nous a été transmis par Robert Berthommier, un habitant de Saint-Doulchard bien connu et dont la vie mériterait, non pas ces quelques lignes, mais tout un roman.
Robert Berthomier est né le 11 février 1921. En 1934 il entre chez Dactyl Buro puis en 1937 opte pour la boulangerie à Dun/Auron. Là, il exerce la noble profession du pain jusqu’en 1954, date à laquelle il intègre le Berry Républicain pour y devenir vendeur de journaux. Si vous souriez, sachez qu’à l’époque c’était tout un métier ! Brume, pluie, vent ou, neige, la lune encore haute, dès 03h00 il s’en va parcourir 85 kilomètres dans le petit matin, avec sa bicyclette surchargée. Tous les jours il distribue ainsi plus de mille journaux ce qui lui vaut de devenir le meilleur vendeur de France et lui fait pédaler plus d’un million de kilomètres durant sa carrière.
Parallèlement Robert prend en 1937 une licence de coureur à l’Union Cycliste du Berry et monte sur le podium dès sa première course (rien moins que le « Pas Dunlop ») ! Avec une régularité de métronome, il franchira chaque année 6 à 7 fois la ligne en vainqueur, sur route comme en cyclo-cross. Sa meilleure année sera 1947 avec 13 bouquets. En 1949 il participe à Paris-Bourges avec les professionnels. Il descend de selle en 1953 puis devient dirigeant de club, arbitre de course et éducateur. Il sera de longues années le responsable du vélodrome Tivoli à Bourges. Notre homme se retire du cyclisme actif à 85 ans et se consacre aujourd’hui à la poésie. Bon pied bon œil, il aligne cependant toujours ses deux heures de vélo hebdomadaire et une trentaine de bornes dans les rues de Saint-Doulchard.
Qui mieux que Robert Berthommier peut de nos jours connaître ce bon vieux Canal de Berry ? Il est pratiquement né en face, ses parents y vivaient tout près. Dès ses cinq ans son père l’y emmène pêcher. À 10 ans il le traverse à la nage. À peine adolescent, il récolte quelques piécettes en aidant les mariniers à débarder leurs cargaisons. Alors pensez si des promenades le long des berges il en a fait quelques unes… Tiens, en 1934, la préfecture lui a même délivré une autorisation pour y circuler à vélo ! Oui, combien de temps a-t-il passé près du bel ouvrage ? Robert Berthommier lui-même ne saurait le dire, lui qui possède des volumes entiers de mémoire liée à cet emblème du Berry. Son démantèlement lui causa une affliction énorme. Peine qui ne s’est toujours pas apaisée, surtout à la vue du spectacle qu’offrent certains tronçons, dévorés peu à peu par la végétation, les engins de chantiers, les indélicats et maintenant l’écrevisse de Louisiane.
L’âme nostalgique, nous vous laissons savourer les rimes du poète. Grâce à sa verve, son talent, sa connaissance parfaite du sujet, en quelques vers délicieux il nous transporte au temps jadis et nous conte, mieux qu’une carte postale ou qu’un long documentaire, la vie rustique des mariniers d’autrefois et l’activité du canal, sa beauté tranquille, son existence ponctuée par le rythme paisible du courant.
C. B.
LE VIEUX CANAL
par Robert Berthommier
L’eau morte d’un canal
En amont en aval
Qui ne sert plus à rien
Qu’à meubler le terrain
Et refléter le soleil
Sous les platanes
Majestueux pareils
Quand l’ombre y plane
Le matin et le soir
Resplendissant le midi
Je l’ai vu je vous le dis
Mon souvenir lointain
S’accroche à ces bateaux
Naviguant lentement
Majestueux sur son eau
Les berges entretenues
Sous les pas des mulets
Où l’herbe était menue
Sans sable et sans galets
Les bras des mariniers
Assuraient la dérive
Pour ne pas abimer
Le régulier des rives
L’œil toujours aux aguets
Car c’était leur métier
Métier et gagne-pain
Même si l’avenir était vain
Soucieux de l’entretien
Du bateau garde-manger
Le goudron employé
La coque badigeonnée
Assurait la survie
Du bien de leur vie
Le travail aux écluses
Afin de changer de bief
Attirait les passants
Souvent bien des griefs
Pourtant il fallait passer
Afin de continuer
Le chargement transporté
Devait être livré
Tout retard apporté
Était manque à gagner
Le canal était vivant
Avec pourtant peu de courant
Les péniches à leur passage
Remuaient l’eau
Jusqu’à la vase
Et l’eau qui se troublait
Brassée pour un moment
Dérangeait les vers blancs
À la grande joie des poissons
Et des pêcheurs impatients
De voir leur flotteur
Dans la profondeur
De cette eau si utile
Pour leur plaisir à eux futile.
Le profit a tout détruit
Le trafic et toute sa vie
Pourtant l’ouvrage a survécu
Tant il était bien conçu
Fabriqué par la main de l’homme
Malgré son inaction il rayonne
Et reste un souvenir
D’une époque où il faisait vivre
Une multitude d’ouvriers
Que l’on appelait mariniers.