Thomas More, dans l’Utopie, écrivait en 1516 : « Est-il juste qu’un noble, un orfèvre, un usurier, un homme qui ne produit rien, ou qui ne produit que des objets de luxe inutiles à l’État, est-il juste que ceux-là mènent une vie délicate et splendide au sein de l’oisiveté ou d’occupations frivoles ? Tandis que le manœuvre, le charretier, l’artisan, le laboureur, vivent dans une noire misère, se procurant à peine la plus chétive nourriture. » 500 ans plus tard, rien n’a changé ou si peu . Désormais, le noble, l’usurier et l’orfèvre ne font plus qu’un …
Pour comprendre il n’est pas obligatoirement nécessaire d’avoir fait les 3/8, ni être passé par la pointeuse à l’embauche – on appelle ça le badgeage maintenant – ni d’avoir hissé un drapeau de la CGT sur une table de fraiseuse. Il suffit plus simplement de lire les dernières petites phrases de nos élites ! Quand un Geoffroy Roux de Bézieux, successeur de Pierre Gattaz, « sérial entrepreneur, libéral bon teint » selon l’Express, franc-tireur de l’entreprise et partisan du travail, rien que du travail, explique que « tant que l’espérance de vie augmente, il faut accepter de travailler plus longtemps », on est fixé. Geoffroy c’est quand même le mec qui voit un « vrai progrès social » dans le recul de l’âge légal de départ à la retraite. Ce n’est pas une considération économique. Que nenni. C’est un ajustement démographique. Une variable certes liée à l’humain mais aussi volatile que l’individu : un jour au boulot, un autre au cimetière. Entre les deux, pas grand-chose à part le mot consommation mis à toutes les sauces ! Vous me direz que Geoffroy n’est pas pire que Daniel Cohn-Bendit, rouge et vert à la fois, et Emmanuel Macron, bleu-blanc-rouge, quand, en 2016, ils s’accordaient pour le temps de travail hebdomadaire. « Quand t’es jeune, 35 heures c’est de la pipe. C’est 40 ou 45 heures parce que t’apprends ton job en même temps,» dixit le bonhomme qui n’a jamais pousser une bâtarde*. Hé les gars, tout le monde ne pointe pas le bout de son nez dans une entreprise, une boîte, sur un chantier, voire dans un bureau, à 30 piges…
N’oublions pas que, pour seul travail de force, l’un a été, au siècle dernier, lanceur de pavé sur CRS, et l’autre, plus récemment, tourneur de page de livres de comptes. Dans un salon pour les uns, dans une quelconque tribune pour l’autre, c’est fou comment ceux qui n’ont que rarement connu l’odeur de la sueur peuvent débiter des âneries sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas. Vous me direz que d’autres ne vont pas par quatre chemins, dans le sens inverse, à l’image de Jean-Luc Mélenchon. Lui, il prône « Un emploi pour chacun. Travailler moins pour travailler tous ». Mathématiquement, c’est pas con ! Sur le terrain, va falloir négocier… Réducteur certes mais pas moins démagogique que les 10 000 boules d’Éric Z, pour une naissance dans nos campagnes plutôt qu’à la ville.
Tous sont largués par le seul qui ait connu l’usine, Philippe Poutou. Son «Bosser le moins possible, gagner le plus possible» lancé dès 2012 devrait être le leitmotiv de tous les prolétaires du monde, s’il voulait se donner la main, mon cousin. Qu’à cela ne tienne, Phiphi de 2022 n’attend personne. Il est déjà passé à autre chose: l’instauration de la semaine de 28 heures sur 4 jours, sans perte de salaire et avec les embauches correspondantes « pour en finir avec le chômage », associé à une sixième semaine de congés payés. Patrick Pouyanné, le PDG de TotalÉnergies (nouveau nom du groupe Total), entreprise à la pointe du partage – le premier qui dit dividende a gagné – vient d’annoncer qu’il trouve l’idée pas si stupide que ça. C’est pas comme ça que la dette fictive va être remboursée. Fictive, on vous a déjà dit, la dette. Qu’un saint, même Anglais et très Renaissance, et qu’un patron d’une entreprise à fort potentiel actionnarial, soient en phase avec un militant du Nouveau Parti Anticapitaliste devrait en interloquer plus d’un, non ?
* Pour ceux qui ne le savent pas, une bâtarde est une lime à grosses dents utilisée pour éliminer grossièrement de la matière sur une pièce de métal.
Fabrice Simoes