Sécurité : une dangereuse amie


Rien n’est plus fluctuant – et c’est bien connu – que l’opinion publique. Prenons la sécurité ou plutôt le sentiment d’insécurité. Peut-on ignorer qu’il apparaît au gré des périodes électorales ? C’est un peu comme si les potentiels édiles étaient tous (enfin, presque) convaincus que leur programme politique qui ne contiendrait pas une mesure censée renforcer la sécurité serait un homme ou une femme irresponsable ? Remarquons-le : il y a deux ans encore, selon plusieurs sondages, la sécurité était relayée en fin de peloton des préoccupations des Français loin derrière les « priorités », disaient-ils, qu’étaient « la santé » « le système social », le « pouvoir d’achat » et « l’environnement ». Et d’un coup, à l’approche des élections départementales et celle, en 2022, de la présidentielle, voici que ce fameux besoin sécuritaire devient le souci primordial d’une grande majorité de citoyens. En effet, si l’on en croit le dernier sondage de l’Ifop réalisé pour le compte du « Journal du Dimanche (J.D.D.) celui-ci affirme que « la préoccupation sécuritaire, dans notre pays, a bondi de 26 points depuis le mois de mai 2020 » et ce seraient donc 86 % des Français qui estimeraient « tout à fait important » de lutter contre la délinquance et le terrorisme. Un sentiment d’insécurité qui n’est d’ailleurs pas, comme on le croit souvent et ce point mérite d’être souligné, l’apanage d’électeurs de l’extrême-droite ou, même de la droite classique puisqu’il touche aussi -et toujours selon l’Ifop – 86 % des sympathisants de « La République en marche », 80 % des gens proches du « Parti socialiste » et 70 % de ceux de « La France insoumise ». Qu’a-t-il pu bien se passer pour qu’un grand nombre de Français soit convaincu si rapidement et brutalement de la nécessité de prendre des mesures réglementaires et législatives, qu’elles soient d’ailleurs d’ordre administratif ou judiciaire, dont la majeure partie a pour but d’accentuer la prévention et d’accroitre la répression ? Xavier Bertrand, député des Hauts de France et candidat au fauteuil élyséen, affirme que l’été dernier a été si virulent qu’il a fait penser au scénario « d’Orange mécanique » en référence à l’extrême violence du film de Stanley Kubrick. Et au député du Nord de rappeler la série dramatique des faits divers qu’ont été, par exemple, l’agression mortelle d’un chauffeur de bus à Bayonne, les attaques djihadistes sur notre territoire dont la décapitation du professeur Samuel Paty au mois d’octobre dernier. « La France a peur ! » avait clamé devant des millions de téléspectateurs un présentateur du journal de vingt heures au milieu des années 70. Et 45 ans plus tard, si l’on se réfère donc aux sondages récents, elle aurait toujours besoin d’être rassurée cette France ! Prenons garde, tout de même. Le fabuliste Jean de La Fontaine nous le disait déjà au XVIIe siècle : « L’adversaire d’une vraie liberté est un désir excessif de sécurité ». Est-ce les nécessités politiques du moment qui conduisent actuellement les classes dirigeantes à se lancer, tous azimuts dans une sorte de course aux propositions tendant, qu’on le veuille ou non, à grignoter les libertés individuelles et collectives ? On peut d’ailleurs s’étonner que des mesures si importantes concernant le bon fonctionnement de la démocratie ne soient pas plus mises en exergue en faveur du grand public puisque -et c’est un constat – les médias semblent considérer ce train de réformes comme des choses de peu d’intérêt tant les journaux sont, sur ces sujets, peu diserts. À tort ou à raison, cette indifférence apparente et un peu curieuse, de facto, apparaît comme une ignorance volontaire alors que bon nombre de ces réformes sont fondamentales et touchent directement le bon fonctionnement de la démocratie. Quelles seront les conséquences par exemple de la loi « Sécurité globale » votée récemment par les deux assemblées ? La complexité de ce texte ne permet pas ici d’entrer dans les détails de ses articles mais notons qu’il entrave « la liberté de photographier et filmer les forces de l’ordre en action », qu’il ouvre à la sécurité privée des possibilités d’investigations importantes, qu’il légifère sur les ports d’armes, qu’il autorise le déploiement des drones de surveillance, qu’il renforce le droit d’utiliser les vidéo-surveillances dans les lieux publics et se veut même les prémices aux identifications faciales via des systèmes d’intelligence artificielle etc. Cette loi dite de « Sécurité globale » supposée préserver les libertés (sic) est tellement liberticide aux yeux de ses opposants (hommes et femmes politiques de tous bords, syndicats, associations et ONG etc.) qu’un recours a été déposé devant le Conseil Constitutionnel en vue d’en censurer les articles les plus contestés. Ce n’est pas tout. Que fait la police ? Elle se réforme aussi et là encore dans une indifférence quasi-totale. Si ce bouleversement de l’institution, puisque cela en est un, n’est pas sans intérêt et en particulier dans le domaine de son bon fonctionnement, il est des dispositions qui inquiètent pourtant plus d’un haut responsable du ministère de l’intérieur et de la préfecture de police de Paris. La crainte d’une telle réforme est une concentration des pouvoirs entre les seules mains d’un directeur départemental et d’un préfet qui auraient l’autorité sur la sécurité publique, la police des frontières, et même la police judiciaire qui ne sera plus jamais celle que nous avons connue jusque maintenant. Que dire également de l’utilisation débridée des algorithmes pour lutter légitimement contre le terrorisme car la question posée n’est plus de savoir s’il faut en réglementer l’usage mais la question est de connaître ce que deviennent les renseignements stockés dans les machines informatiques qui touchent obligatoirement l’intimité des Français ? Un point qui reste flou et qui est décrié par les défenseurs des libertés numériques. Enfin, que dire encore des lois votées dans l’urgence sous le coup de l’émotion et qui ne mesurent pas les conséquences sur les libertés individuelles ? Le temps et la place manquent pour citer ici tous les exemples qui dessinent une France de plus en plus sécuritaire. Puisqu’il nous faut s’en garder, une certaine sagesse, nous rappelle les mots de l’ancien président des États-Unis, Thomas Jefferson, qui nous disait « Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour être en sécurité tu ne mérites ni l’une ni l’autre ».

Éric Yung