Ceux qui auraient encore un doute quant à cette période de l’année vivent probablement sur une île déserte, sans électricité, sans contact avec d’autres humains. C’est un peu comme avec l’accueil dans les services publics. Sinon, rien que la programmation de C8, en dehors des effluves nauséabondes d’Hanouna, auraient pu leur mettre la puce à l’oreille ou la punaise de lit dans la chambre. En cas d’incertitude et que vous tombez sur Love Actually, plus de raison de se poser la question…
Revoilà donc venu le temps du grattage matinal des pare-brises – on a tenté une autre méthode, le tirage, mais on ne gagne rien de plus. Revoilà venu le temps des chocolats chauds pour le goûter de la petite marmaille. Revoilà venu le temps du thé et de la tarte au citron, pour leurs grand-parents. Revoilà venu le temps des enfants tout gentils, des parents tout contents, des cadeaux que l’on va faire et de ceux que l’on aimerait recevoir. Revoilà venu le temps des guirlandes qui scintillent, des boules en verre, de celles en plastique, de celles qui brillent et les autres pas, des étoiles qui s’allument comme par magie. Revoilà venu le temps des All I Want For Christmas Is You de Mariah Carey à la radio, dans les ascenseurs et dans les supermarchés. Revoilà venu le temps des comptages de dodos pour maintenir les impatients dans un calme illusoire et surtout temporaire. Revoilà venu le temps des sapins pour de vrai, des sapins pour de faux aussi, qu’on installe dans un coin du salon. M’enfin, revoilà venu le temps de Noël.
Il ne faut pas croire mais, disons le tout de go, le Père Noël est foncièrement laïc. S’il s’accommode facilement avec les crèches, les petits Jésus dedans, les bœufs, les moutons, la myrrhe et l’encens, il ne se mélange que rarement avec tout ça. Pourtant, revoilà aussi venu le temps des manipulateurs d’opinion, ceux-là mêmes qui n’accepteraient pas un buste de Marianne dans leurs lieux de culte, qui veulent une crèche dans les halls de mairie. Derrière sa barbe blanche, le Père Noël est raccord avec la loi du 9 décembre 1905. Entre deux lectures de Bakounine ou de Proudhon, une écoute de Gimme some loving version Steve Winwood & Slash, c’est un texte qu’il ingurgite en infusion. D’ailleurs, il ne faut pas la lui faire au Père Noël. Planqué derrière son air naïf, son gros nez, sa houppelande rouge, et son ventre rond, c’est loin d’être un imbécile. Il ne démarre jamais son traîneau avant d’avoir lu, en préambule de tout départ du Pôle Nord, l’avertissement suivant : « Il est interdit de procéder à la purge de la valve de friction des soufflets de bielle avant l’arrêt total de la soupape de freinage hydrostatique, même en cas d’engorgement des membranes de graissage de la clavette basculante. » Mécano, c’est l’un de ses moindres défauts au Père Noël.
Uberisé avant l’heure, le boss de la distribution des joujoux par milliers, dans les petits souliers, c‘est Keanu Reeves qui sort de Matrix et se prend pour John Wick. Il vit dans le multivers et connaît parfaitement notre monde. La preuve, il le sait que l’hémiplégie intellectuelle tend à être notre demain et que l’arc-en-ciel n’aura bientôt plus toutes ses couleurs. Une seule, la bonne évidemment, devra rester. Pour guider vers le chaudron des Leprechauns, la voie vers la lumière, et tout le toutim, c’est suffisant ! Le devenir sera populiste à souhait. Il sera choisi par d’autres pour le bien être de tous. Il s’appuiera sur la simplicité de ses adorateurs, de ses pratiquants, de ses utilisateurs. Tous sachants, tous spécialistes de tout, tous membres du milieu autorisé pour en parler. Aucun fabricant de jouets mais tous conducteurs de rennes et de traîneaux dans le ciel… On peut comprendre pourquoi les aiguilleurs du ciel sont stressés à l’approche de chaque fin d’année parce que, quoique l’on en dise, laïque ou pas, ça va en faire du monde dans le rôle du Père Noël ! Cette année, pour ne pas que ce demain soit aujourd’hui, au pied du sapin, chaque renne aura sa carotte préparée – c’est quatre ou six rennes, je ne sais jamais – et le père Noël pourra déguster une part de bûche et un verre de goutte-marc-gnole – avec de la pomme dedans, même si y a pas que ça.
Et puis, si au coeur de la nuit, vous entendez chanter Farytale of New York et que, au petit matin, vous retrouvez une pinte vide au milieu de votre salon qui sent la bière tiède et le tabac froid, c’est que le Père Noël s’est pris pour Edgar Wright. Il était certainement accompagné par ce Pogue Mahone de Shane MacGowan, pour se rejouer une dernière fois le coup du Dernier pub avant la fin du monde …
Fabrice Simoes