Pour une association comme l’Union pour les Ressources Génétiques du Berry, le passage à la dimension régionale est à la fois une épreuve et l’occasion de consolider une pratique, une expérience et des acquis. L’assemblée générale extraordinaire appelée à se prononcer sur de nouveaux statuts s’est réunie le 16 mars au pôle du cheval et de l’âne à Lignières (18).
De l’aveu même du président Jacques Aubourg, cette mutation plus subie que désirée est néanmoins un passage obligé qui prend acte du financement par la Région et le Feder du Pôle BioDom’Centre, deux postes d’ingénieurs à plein temps pour un coût annuel de 110 000 €. Fanny Moyse et Amandine Priac ont pour mission d’intégrer la biodiversité domestique locale dans l’économie régionale et de renforcer l’identité, l’attractivité et la compétitivité de la Région dans le domaine du tourisme gastronomique. La proposition d’élargissement du champ d’action faite par le conseil d’administration a recueilli l’unanimité des voix des présents et représentés. Si tous sont conscients que le niveau territorial pertinent pour l’action est la Région, passer de deux à six départements ne sera pas sans conséquences. Trois places ont été ménagées dans le nouveau conseil d’administration pour intégrer des forces nouvelles venues d’ailleurs que du Berry, mais faire se rencontrer des acteurs d’une région qui s’étend de Dreux à Argenton-sur-Creuse, de Chinon à Sancerre n’est pas un petit problème. Mic Baudimant, le remuant vice-président redoute le découragement des longues distances à parcourir, mais surtout l’éloignement du haut lieu de ressourcement que constitue pour tous la cuisine du Plaix, le repaire des Thiaulins de Lignières. Nul doute que la convivialité berrichonne est exportable et qu’elle saura l’emporter sur la routine des réunions.
Ni antiquaires ni brocanteurs
Une fois cette évolution actée, retour à une assemblée générale ordinaire, la dernière de l’URGB. Jacques Aubourg dans son rapport moral prend le temps de bien détailler pour tous l’esprit originel qui doit perdurer dans la nouvelle association : « Notre but est de recueillir et de valoriser les héritages de l’agriculture paysanne en évitant le passéisme. Nous faisons le constat que sous prétexte de modernité l’agriculture productiviste a fait table rase du passé. Nous sommes des mendiants assis sur des coffres remplis d’or, il suffit de gratter pour trouver des richesses, ces trésors vivants que sont les variétés fruitières et légumières locales, et ces rescapés d’un autre temps, les races domestiques fermières d’avant le productivisme triomphant des années 60. Mais nous ne sommes ni des antiquaires ni des brocanteurs, l’aveuglement nostalgique est le piège que l’on nous tend. Le passé est dépassé, mais il existe. » La mission de l’URG centre sera d’insérer ces ressources du passé dans les besoins d’aujourd’hui et pour cela le président prend quelques exemples emblématiques. L’âne Grand Noir du Berry n’existait pas, il faisait le sale boulot dans les cours de ferme, il recevait des coups de pieds et des insultes. Il est devenu un animal de loisir, il promène des touristes et se fait cajoler par les enfants. La poule Noire du Berry était une pondeuse qui grattait sa pitance sur les tas de fumier, elle est devenue une volaille gastronomique courtisée par les chefs étoilés. Le Genouillet n’était qu’un cépage local parmi d’autres, « un ch’ti raisin qui murissait une année sur dix ». Replanté en bonne condition, surgreffé sur des vieilles vignes, vinifié noblement, il retrouve les faveurs des œnologues. La sucrine du Berry, cette courge oubliée issue de la foire de Tranzault est aujourd’hui adoptée par 30 producteurs. Tous les restaurateurs l’ont adoptée et elle franchit toutes les étapes du succès. Grace à ID en campagne elle va être introduite dans la restauration collective. Sortir un produit local de l’ombre, le mettre en production comme ce fut le cas pour la lentille verte du Berry, c’est de l’économie mais c’est aussi apporter au territoire un supplément d’identité et par l’effet d’ambassade une promotion régionale gratuite. Appel à tous ceux qui souhaitent soutenir leur région : la nouvelle URGC défend un locavorisme lucide. Le locavore averti donne sa préférence aux races et variétés locales qui ont fait leurs preuves, qui sont adaptées au terroir et peuvent faire vivre des producteurs. Races locales et circuits courts gagnent du terrain dans un mouvement d’ampleur nationale, mais le passage d’une économie domestique à l’économie marchande est complexe. Tout le travail des sociétés pomologiques est une réussite auprès des amateurs, il n’a pas encore fait sa percée auprès des professionnels.
L’enjeu humain de la biodiversité
Le plaidoyer de Jacques Aubourg ne s’arrête pas aux succès économiques, il revendique un nouvel humanisme : « On a fait de la biodiversité un enjeu d’environnement, mais la biodiversité fait qu’on est ce qu’on mange. N’oublions pas les micro-organismes, les levures indigènes du vin, du cidre, les ferments du pain. Que serait notre imaginaire sans un bestiaire qui se souvient du temps des loups ? Que serait notre assiette sans les bourdons et les abeilles ? Si l’âne n’existait pas notre imaginaire serait orphelin. Que serait notre culture gastronomique sans la diversité des vins et des fromages dans la continuité de celle des cépages et des races qui les font exister ? La biodiversité c’est nous. Mais tous les jours elle est érodée par les contraintes de la production et de la distribution de masse. Le chou navet d’Aubigny, le mouton Solognot ou le Berrichon de l’Indre, l’Oie de Touraine, la Poule de Contres, les cépages modestes comme le Romorantin et le genouillet, le haricot barangeonnier, la pomme belle fille de l’Indre ou la châtaigne patouillette jaune, tous ces trésors sont des outils de lutte contre la macdonaldisation du goût. Remettre ces bonheurs en circulation, c’est un humanisme et le sens de notre engagement. »
Pierre Aucante
Pour en savoir plus un nouveau site à consulter : www.urgcentre.fr