L’ancien inspecteur général de l’administration de l’Éducation Nationale, linguiste de formation, aime surprendre son lectorat. C’est avec un dictionnaire sur le monstre sacré Brel, paru aux éditions renommées et érudites, Honoré Champion, qu’il parvient cette fois à accrocher les Boomers autant que la jeune génération, au fil de 480 pages s’attardant de manière originale sur le vocable des chansons de l’artiste poète belge.
Si le patronyme de l’auteur vous semble familier, que vous en avait déjà entendu parler, c’est normal, Gérard Saurat s’était illustré en écrivant en 2021 sur l’histoire locale de sa commune, celle de Pontlevoy (relire sur www.lepetitsolognot.fr/pontlevoy-gerard-saurat-etaye-de-sa-plume-un-pont-communal-entre-jadis-et-aujourdhui/), après avoir réalisé quatre-vingt entretiens approfondis des habitant(e)s y résidant. Cela avait alors produit un ouvrage passionnant, permettant une plongée documentée de 1940 à nos jours dans la vie ordinaire d’une bourgade de Loir-et-Cher, publié s’il-vous-plaît chez l’Harmattan. Trois ans plus tard, la plume du septuagénaire revient dans toutes les bonnes librairies avec un autre sujet, national, voire mondial, aux antipodes, mais tout autant absorbant, y compris pour les non spécialistes ou férus de chanson française. Il s’agit de Jacques Brel. Il existe évidemment pléthore de biographies et autres ouvrages racontant la vie de ce personnage, qui a « voulu voir Vierzon » et « le port d’Amsterdam» capable de réciter une « valse à mille temps ». Mais Gérard Saurat avait une idée d’ouvrage inédit qui lui trottait dans la tête depuis un moment. À la retraite, il a pu rendre concret ce projet : ainsi, le livre « Les mots de Jacques Brel, dictionnaire poétique » vient de sortir (*), distribué en France et en Belgique. Et que chacun se rassure : dictionnaire ne signifie pas 1 000 pages et 3 kilos ! M. Saurat estime d’ailleurs que «lexique » peut aussi très bien convenir pour définir son travail. « Cela n’a jamais été fait il me semble, » explicite-t-il. « Je fais partie de la génération des chanteurs Brel-Brassens. J’ai déjà vu Brassens sur scène, pas Brel car j’étais encore un peu jeune. Mais j’aime beaucoup ses textes, je voulais pouvoir permettre aux jeunes et moins jeunes de redécouvrir ses chansons autrement. Mon but fut donc de me dire : « tiens, et si je cherchais quel mot est utilisé, combien de fois, etc. » ». Exercice réussi, puisque cette tâche musicale et lettrée, qui aura pris de plus de deux ans à Gérard Saurat, aura donné vie à (seulement) une bible artistique de 480 pages (et 3 400 citations). Celle-ci mérite d’être dans la bibliothèque des passionné(e)s, qui peut en sus se glisser dans un sac-à-dos et se lit en effet tel un dictionnaire, c’est-dire mot à mot, avec des entrées par ordre alphabétique, de A à Z.
De Jacques Brel à Arnaud Askoy
Un style peu commun qui décortique de cette manière 150 chansons (plus une, avec « La quête », en laissant de côté « les dernières plus injurieuses ») et offre qui plus est la liberté à tout lecteur de commencer par le début ou la fin, ou bien le milieu, pourquoi pas, en écoutant Brel en même temps; d’y revenir également sans jamais perdre le fil de l’histoire ni du vocabulaire chanté. Et par conséquent, quel mot revient le plus dans l’oeuvre de Brel ? L’auteur a recensé : « Amour, cent-vingt et quelques fois, avec diverses nuances. Également, sont récurrents les termes solitude et tristesse. Au contraire, bonheur n’apparaît pas ! » Sans doute, un reflet sur papier en cohérence avec l’existence tourmentée du chanteur et poète Brel, disparu jeune. « Il a brûlé la vie par les deux bouts. Ses premiers titres n’étaient pas bons. Tout a changé lorsqu’il a vu qu’il ne pourrait pas percer en Belgique et qu’il est arrivé à Paris avec sa femme et ses filles. Des gens l’ont pris en charge à ce moment-là, il s’est vraiment mis au travail et il a décollé. S’il n’avait pas déménagé, on l’aurait vite oublié. À la capitale, il a abandonné sa guitare et son expression corporelle est devenue plus libre. Il écrivait toutes ces chansons, avec très peu de mots; 1 000 environ, ce qui n’est rien du tout, mais ceux-là avaient toujours du sens et étaient utilisés au bon moment. Il écrivait la musique aussi, avant de se faire accompagner par des musiciens qui reprenaient ce qu’il créait », commente alors le Loir-et-Chérien écrivain. Au cours de mon écriture pour ce dictionnaire, j’ai perçu moi-même son évolution, la qualité de ses phrases enrichies. Il faut attendre après 1964 et « Ne me quitte pas » pour un propos plus osé, sexuel. Même si l’amour et l’amitié représentaient deux choses très importantes pour lui. L’ami pour Brel, c’était quelqu’un qui ne trompait pas… contrairement à la femme ! (Rires) Sa vie sentimentale fut complexe. Mysogine ? Certes, dès ses débuts, mais c’était lui, ça fait partie du personnage !» Et au fait, on parle, on cause, mais quel est le titre préféré de l’auteur Saurat après ces années de rédaction? Il confie que son coeur balance pour « Les Vieux » mais pas que. Il précise : “Il y a une douzaine de chansons que j’aime particulièrement. Je pourrais citer « Ne me quitte pas », « le Plat pays », « La Fanette », « Les Toros », bien sûr « Amsterdam”; ainsi que « Les Timides », « les Jardins du casino », « Jef » et « la Chanson des vieux amants ». Toutes ces chansons sont pleines de nostalgie, de tendresse, souvent aussi de moquerie mais jamais agressive. Ce sont des peintures de la vie, de l’amour, de la mort, avec fougue, comme Amsterdam, avec déchirement comme « Jef », avec désespoir comme « La chanson des vieux amants », etc. Mais cet ensemble, que je vous cite, a en soi une logique, une cohérence dans l’inspiration et l’expression. C’est tout l’univers de Brel qui s’y trouve condensé.” Il conseille au passage le premier tour de l’album « Olympia 1964 », avec une dernière recommandation. « Écoutez Arnaud Askoy, un ancien flic et détective privé au parcours atypique car il est devenu le sosie de Brel. Même physique, mêmes dents ! (rires) Même voix. » Gérard Saurat espère qu’il viendra prochainement en concert à Blois. Tout en confiant pour sa part, ne pas chômer et déjà plancher sur son troisième livre, dont nous avons promis de garder la mélodie secrète …
Émilie Rencien
(*) Gérard Saurat, « Les mots de Jacques Brel, dictionnaire poétique » (éditions Honoré Champion). Préface de Jean Pruvost. 480 pages, broché, 15 x 21 cm. 28 €.
Séance de signatures le 4 mai dans la librairie de Pontlevoy (11h) et le 22 juin chez Labbé à Blois (11h).