Aux portes de Châteauroux quatre cents taurillons grossissent en toute quiétude, nourris au maïs berrichon. Au terme d’un séjour de six mois, ils seront transformés en carcasses pour le marché italien.
Il a fallu une délibération du conseil municipal pour que l’on s’intéresse à l’atelier d’engraissement de Saint-Cyran. En retrait de la route de Tours, la ferme au milieu des champs de colza, peut effectivement attirer l’œil en raison de la taille de ses silos. Derrière ces cathédrales agricoles les bâtiments d’élevage forment le carré, autour d’une vaste cour gravillonnée. C’est rationnel, moderne, performant. Des centaines de broutards répartis par bandes de quinze ou trente individus du même âge y grossissent paisiblement en attendant de rejoindre l’abattoir de Montmorillon. « C’est une forme de maltraitance, a estimé Chantal Delanne avant le vote de la délibération, il n’est pas acceptable de le permettre ». La question ne portait pas sur l’autorisation ou non de l’agrandissement de l’atelier que l’on souhaite faire passer à 714 bovins, mais de donner un avis favorable à l’épandage du fumier produit par ce surplus de pensionnaires sur les terres de l’exploitation.
La remarque de la conseillère pose toutefois le problème de la production industrielle d’animaux destinés à la consommation humaine. Jean-Pierre Garcia, l’agriculteur de Saint-Maur, ne se dérobe pas à la question et accueille sans difficulté ceux qui veulent constater sur place en quoi consiste une ferme d’engraissement. Il a accordé un long entretien au Petit Berrichon.
L’ennemi, c’est le rhume
« Nous avons créé cet atelier dans un but de diversification de l’entreprise. Je suis allé voir un peu partout en Europe : Italie, Espagne, Allemagne, Tchéquie pour voir ce qui existait et j’ai commencé modestement, avec cinquante bêtes. Et puis nous avons grandi et si je passe à 714 places, c’est pour avoir une possibilité d’accueillir plus d’animaux, pas forcément pour faire le plein immédiatement. A la différence des céréales dont le court et la productivité fluctuent, cette production de bovins est contractuelle, mais les marges sont faibles et l’on n’est bénéficiaire que lorsque l’on a fini d’amortir les investissements. On peut donc se retrouver sur le volume de production. J’aime m’occuper de bêtes, alors c’est certain je ne leur donne pas de petits noms, mais à force de les nourrir et de venir les voir tous les jours, j’en connais beaucoup, en particulier celles qui ont eu besoin de soins. Et vous ne trouverez jamais un cas de maltraitance chez moi ».
De maltraitance peut-être pas, mais on reproche à ces regroupements importants d’animaux un recours systématique aux médicaments. « Là encore il s’agit d’idées reçues. Les antibiotiques coûtent une fortune et si l’on veut conserver une marge il faut en utiliser le moins possible. Nous sommes d’ailleurs en train de mettre en place un procédé révolutionnaire. Il s’agit de convaincre les éleveurs naisseurs de procéder à une pré-vaccination. Compte-tenu des délais qui doivent s’écouler entre la vaccination et l’abattage de l’animal, ce n’est pas possible chez l’engraisseur. Si l’animal arrive chez nous couvert par ce pré-vaccin, il nous suffit de faire un rappel et notre broutard est immunisé contre les maladies respiratoires, principales causes d’ennuis sanitaires qui peuvent s’avérer mortels ».
Le broutard ne craint pas le froid, mais les courants d’air. C’est pour cela que les bâtiments sont largement ouverts pour permettre une bonne ventilation, mais équipés de rideaux anti courants d’air que l’on tire quand le besoin s’en fait sentir.
« Pour agrandir l’atelier nous allons bâtir un bâtiment de 1800 m2 avec huit boxes de trente places et nous allons déplacer la quarantaine. C’est un investissement de 350 000 euros réalisé avec les moyens de la société. Nous n’avons jamais perçu aucune subvention pour développer cet atelier ».
La dernière question que l’on se pose par rapport à cette production de viande, c’est pourquoi elle n’est pas commercialisée en France. « Cette viande ne correspond pas au goût français, on en trouve dans quelques grandes surfaces, mais les consommateurs préfèrent une viande rouge plus goûteuse. Ce que les Italiens plébiscitent en revanche c’est sa tendreté, idéale pour leur type de cuisine (il s’agit de baby léger label rouge junior). Ils importent sur pieds les meilleurs broutards de CELMAR (lire par ailleurs) le troisième choix part pour l’Espagne.
Jean-Pierre Garcia sent le poids des ans peser sur ses épaules. L’agrandissement permettra de créer un emploi d’ouvrier agricole pour s’occuper de ce secteur. Nicolas Garcia mène l’activité céréalière avec Anthony seul salarié permanent jusqu’à présent.
« Nous recourons à des saisonniers aux moments forts de l’activité et pratiquons un système d’entr’aide avec un voisin qui exploite six cents hectares et à quatre-vingts vaches ».
Une conseillère municipale souhaitait que l’on incite Jean-Pierre Garcia à faire du bio et à s’orienter vers les circuits courts. « Il y a de la place pour tout le monde, pour le bio et l’agriculture conventionnelle raisonnée. Actuellement compte-tenu de la valeur ajoutée ce n’est pas envisageable. Le maïs bio vaut le double de celui que nous achetons actuellement ».
Pierre Belsoeur
Une saga familiale
Les Garcia sont venus d’Espagne dans le courant du XIXe siècle. C’est le grand-père de Jean-Pierre, commerçant à Saint-Cyran, qui a acheté la ferme sur la commune de Saint-Maur, en 1968. Jean-Pierre a pris la suite de ses grands-parents en 1980 et c’est en 89 qu’il y accueille Pierre, son père, conducteur salarié d’engins de travaux publics. Le GAEC Garcia père et fils naît à cette époque. En 92 première diversification avec la création d’une entreprise de travaux agricoles. L’atelier d’engraissement a été créé en 2004 avec 25 places et il est monté au fil des agrandissements à plus de 400. Le passage à 714 places est lié à l’arrivée de Nicolas, quatrième génération des Garcia qui a rejoint l’exploitation en 2007. C’est lui le gérant en titre de la SAS BV Saint-Cyran. La ferme, c’est 400 ha en exploitation et 600 en prestation de service. Elle a aussi une diversification en production de semence de maïs qui fournit un job d’été à une trentaine de jeunes en juillet, qui viennent « castrer » le maïs.
Une filière d’engraissement
Aucune bête ne nait sur la ferme de Saint-Cyran, Jean-Pierre Garcia y a élevé des lapins autrefois, mais plus que céréalière sa vocation d‘agriculteur est de s’occuper d’animaux. Ceux qui arrivent à Saint-Cyran viennent de la CELMAR, la coopérative des éleveurs de la Marche, basée à La Souterraine. Ils sont de race limousine.
Le rôle de l’atelier de Saint-Cyran est d’accueillir trente petit mâles (des broutards de 8 à 10 mois qui pèsent entre 300 et 350 kg) tous les quinze jours et de livrer des taurillons 183 jours plus tard à l’abattoir de Montmorillon, propriété de la même CELMAR. La viande de taurillons prend directement la direction de l’Italie où la viande rose a beaucoup plus la cote que la viande rouge.
A leur arrivée les broutards passent un mois en quarantaine afin de parfaire leur sevrage et les habituer à une alimentation non lactée, puis rejoignent les box d’engraissement où la nourriture (maïs broyé, compléments fibreux et paille de blé) est distribuée à profusion, tout comme l’eau.
Ils changent de box (15 ou 30 animaux sur un paillis de 75 à 150 m2 puisqu’il faut 5 m2 par animal) toute les semaines pour arriver au stade où il remonteront dans le camion.
L’utilité de cet atelier d’engraissement (il en existe très peu en France, mis à part les Deux-Sèvres ou la Vendée, 80 % des broutards de la CELMAR prennent directement la route pour être engraissés en Italie) c’est de rentabiliser la production de maïs locale. La ferme de Saint-Cyran ne produit pas de maïs, faute de surface irriguée, mais utilise les produits alimentaires des établissement Villemont, d’Argy. Les pailles de blé et d’orge (pour les litières) sont évidemment produites à Saint-Cyran.
Toute cette filière est contractualisée avec la CELMAR et les Ets Villemont, ce qui assure à l’engraisseur une traçabilité totale et une sécurité financière indispensable.