Après le petit noir à la terrasse, bientôt nous allons pouvoir nous offrir un petit blanc au comptoir.
Comme pour le premier, on va en faire tout un pataquès. Comme pour la libération de Paris, comme pour l’élection d’un président de Gauche, comme pour une victoire en Coupe du monde de football, comme pour ces moments entrés dans l’Histoire, plus personne au taff. C’est certain, tout le monde avait posé une 1/2 heure pour aller au bar-tabac du coin, au PMU de la rue de Nantes, au Narval de la place du marché ou au Chiquito, celui où le garçon dit encore bonjour quand on passe la porte. Ce 19 mai dernier, les cafetiers ont fait la recette de l’année. Vous me direz qu’il n’en avait pas eu, de recette, depuis plusieurs longs mois, et qu’une journée c’est quand même un peu court pour retrouver de la stabilité financière. Il en faudra d’autres des jours de déconfinement, sinon ça sent la licence 4 qui morfle.
Nous avons oublié, pour quelques heures, le dénommé modération, cet empêcheur de boire en rond, et lancé à l’encan que, ça y est, la vie reprend. Un rideau de fer qui s’ouvre même pas à moitié et l’on respire mieux. Comme si aller épancher son mal de vivre, ou son trop plein d’énergie, sur un plancher en bois, en bordure de rue, sur des chaises pas toujours confortables, était indispensable à l’équilibre de ces individus plus ou moins sociables que nous sommes. De là à se demander si se murger la tronche en public c’est mieux que de le faire en privé… Ou alors, c’est juste pour faire vivre les commerces de proximité parce que, économiquement, le pack de Kro (beurk) c’est quand même moins cher que le demi-pression de la moindre Pils. Et, bourré pour bourré, même si ça tourne autant quand on est couché dedans, on a moins de chemin à parcourir pour aller au lit quand on pratique à la maison.
Le temps du café chaud des boueux et des livreurs de journaux, à l’heure où l’aube pointe, celui, avant que le premier client n’arrive, de l’expresso pour le commerçant d’à côté, celui du blanc sec et de la pluie et du beau temps des retraités en matinée, sont révolus depuis des lustres mais la nostalgie a fait de ces tranches de vie des moments romantiques alors que c’est simplement une journée qui passe.
Le bistrot, cet endroit où se rassemblent les grands de ce monde, très peu, des bourges, pas beaucoup, des prolos, passionnément, et de tous les quidams, à la folie, est de retour en grâce. Président, ministres, sénateurs, députés, maires, élus, instagrameurs de pacotille, influenceurs de caniveaux, ont tous, plus ou moins, joué à La terrasse, le retour… Pièce initialement écrite par Barrillet et Grédy, avec des costumes de Roger Hart revisitée par Hanouna et rhabillée par jean-Paul Gauthier. Faire du neuf avec du vieux en quelque sorte. De not’Manu président à nous, à nos plus petits élus de campagne, le bistroquet est devenu l’ami d’avant, de maintenant, et de toujours. Le selfie, la vidéo, la réunion, et toutes ces sortes de choses faites sur une chaise en fer, emmitouflé dans un Damart pour cause d’humidité latente, étaient indispensables en ce jour béni de tous les dieux, les uniques et les nombreux, ceux qui existent pour de vrais et les autres qui ne sont que fadaises. Une journée de l’open bar du nouveau monde, plus populiste que celle-ci, tu meurs. C’est aussi un geste autant utile qu’un coup de peinture sur du métal rouillé la veille de la visite d’un quelconque ministre. Poujadisme n’est pas obligatoirement synonyme de populaire mais populisme ne l’est pas non plus, sinon nous n’aurions conservé qu’un seul mot !
Balzac qualifiait les comptoirs de café de parlement du peuple. Moins de deux siècles plus tard, le zing est devenu la braderie des idées, la vitrine des branles-bouillies endimanchés et des sauveurs de l’humanité. Le bistrot, c’est l’espace de rattrapage des infos pour les échappés des réseaux sociaux. C’est l’endroit pour parler des vols Ryanair incapables d’aller jusqu’à Vilnus (Lituanie) sans faire escale à Minsk, en Biélorussie, sans surcoût, alors que la moindre valise en soute est payante. De notre deuxième place à l’Eurovision aussi. Patron, remettez-nous ça. Faut qu’on cause …
Fabrice Simoes