Le nombre de bistrots, parlements du peuple au siècle dernier, sources de bien des idées, de commentaires où la pertinence le dispute à la diversité, est tellement en baisse que les brèves de comptoirs chères à J-M Ribes ( à voir, lire ou relire) sont désormais supplantées par les petites phrases, les gros mensonges, sur écran LED plutôt qu’au travers d’un fond de blanc-cassis.
L’univers impitoyable de Twitter permet ainsi de se rendre compte que l’on peut être pris pour un âne par les uns, mais que l’on est souvent bien moins couillon que d’autres. Ça aide à vivre même si ce n’est pas rassurant tout de même… Dans ce nouvel ordre moral dirigé anonymement par le tribunal des claviers et des écrans, à l’occasion du Black Friday, jour où l’on peut, paraît-il, faire de bonnes affaires, quelques irascibles anti-racistes ont décrété que « pendant la traite négrière le Black Friday désignait la braderie sur le marché public des esclaves qui n’avaient pas encore trouvé de maître de plantation … » Une affirmation sans concession, sans preuve non plus, sans la moindre once de vérité par ailleurs. On peut certes considérer que ces jours de soldes, instaurés pour faire acheter en masse toutes sortes d’objets dont l’utilité est souvent discutable et leur possession indispensable, sont un appel à la surconsommation. De là à penser à un racisme sous-jacent, c’est aller loin, un peu, beaucoup, à moins de se considérer esclave du merchandising. Peut-être aussi que dire « mort aux cons est une incitation au génocide ou au suicide collectif». Dans cette logique, Mort aux vaches peut aussi être assimilé à une invite pour tous les anti-spécistes du monde à aller manger leur steak de tofu sur leurs tombes. Boris « Sullivan » Vian voulait aller cracher dessus, alors s’y goinfrer …
Quand la morale dominante décide que tout est suspect, que tout est sujet à polémique, à jugement, on ne se préoccupe plus de la vision des époques passées mais seulement des travers de l’instantané. Les idoles d’antan peuvent ainsi se muer en pervers du présent. À l’aune du politiquement correct de ce XXIe siècle, le dépucelage, tout juste pubère, du futur Louis XIV, par la baronne de Beauvais, s’assimile à un détournement de mineur. Autre cas d’espèce, plus lointain encore mais symptomatique de l’évolution des mœurs: premier empereur du royaume de France, Charlemagne, et sa seconde femme, mariés en 771 et âgés respectivement de 23 ans, pour lui, et de 14 ans, pour elle, ont eu neuf enfants en 12 ans. Faites le calcul … Au regard d’aujourd’hui, doit-on considérer que celui qui est devenu un vieux barbon à la barbe fleurie inventeur de l’école, selon les lieux communs, était un dangereux pervers avide de chair fraîche, et le bannir à jamais de nos livres d’histoire ? Et les exemples sont nombreux parmi nos nobiliaires élites autoproclamées. Ceux qui en reste, et donnent parfois des leçons, sont en partie issue de cette genèse !
Ne pas séparer l’œuvre de la personne qui la créée et mettre les deux à l’encan, comme on veut le faire de Roman Polansky et ses films, semble indiquer que bientôt les images de bon nombre de réalisateurs ne seront plus visionnables victimes – les films pas leurs auteurs- d’autodafés de la vox populi. Déclarer vouloir ne plus exposer les œuvres de Gauguin dans les musées, parce que le peintre aimait trop les petites tahitiennes, participe aussi de valeurs morales exacerbées. Alors que l’on commémore les 500 ans de la mort de Léonard de Vinci jusqu’à la fin de l’année, on devrait aussi brûler les tableaux du maître en raison de son « amitié » avérée pour un jeune homme de 16 ans. Léonard était peut-être un gros dégueulasse, selon les critères des uns ou des autres, mais il reste un génie …
Aujourd’hui, un petit mensonge suffirait même pour disqualifier le Père Noël. C’est vrai, un vieux camouflé derrière sa barbe, qui donne des bonbons à des petits enfants assis sur ses genoux, c’est limite, non ?