Notre-Dame de Paris versus Saint-Étienne de Bourges


Pour Mathieu Lours, enseignant, historien de l’architecture religieuse, « ce qui rend la cathédrale parisienne unique, c’est qu’elle est emblématique… » et parlant de Bourges “chef d’œuvre absolu de l’art gothique” ajoutant que “ les choix opérés à Bourges révèlent du génie. C’est sans doute ce qui les rend difficilement exportables…”

Avec cette “émotion patrimoniale”* lorsque ce lundi 15 avril on peinait à croire à ce qui apparaissait pour beaucoup “impossible”: Notre-Dame de Paris était la proie des flammes et avec la chute de sa flèche, un brasier épouvantable semblait vouloir anéantir cet édifice que certains nommaient déjà au XVIIIe siècle : “ La Paroisse des Nations”. Mathieu Lours qui était près de la cathédrale à ce moment, rapporte  : “Des images qu’on n’aimerait pas voir quand on est historien de l’architecture…En même temps, on sait qu’elles ont aussi eu lieu dans les siècles passés ! C’est très étonnant comme situation…”Jusqu’ici, ajoute l’historien, “Notre-Dame avait échappé à tous ces drames, elle n’avait encore subi aucun incendie…Elle avait échappé aux bombardements de la première guerre mondiale, de la deuxième…Elle ne faisait pas partie de ces cathédrales martyres comme Reims ou Rouen. Elle est devenue une icône de cathédrale”. Cette “cathédrale du peuple” (Victor Hugo) ; dont l’incendie a touché en plein cœur le monde entier. Monde des croyants, des catholiques en particulier mais Notre Dame c’est tout autre chose comme le souligne Laurent Joffrin, directeur de publication à Libération : “ c’est l’identité française ; une partie de l’histoire du pays s’est déroulée sous ces ogives lancées vers le ciel. “Le fonds indivisible d’impressions d’images, de souvenirs, d’émotions  qui forme l’attachement à la nation” (Jaurès) a été incendié ; chacun se sent atteint. Chrétienne mais aussi républicaine (Libération de Paris et le TeDeum pour la résistance. Notre-Dame est une pièce de cet édifice de mémoire qui unit un pays au-delà de ses déchirements…” Des paroles qui touchent et profondément humaines, simples et vivifiantes. Nous avons voulu mesurer ce que berruyers et autres, passants, visiteurs, touristes français, étrangers, chrétiens ou non ressentaient de cette catastrophe qui fort heureusement n’a pas fait de victimes. Nous sommes allés rencontrer Michel Vogler chez lui à Mehun-sur-Yèvre lui qui, ancien chercheur au CNRS se passionne (avec son épouse) pour l’histoire des cathédrales et qui nous avait sidéré par la richesse de ses recherches lors d’une brillante exposition sur les cathédrales en 2016 à la bibliothèque mehunoise :” Notre-Dame de Paris est pour beaucoup la première et la plus célèbre cathédrale de France. La cathédrale est un symbole de l’Histoire de France et de la République. Il suffit de se souvenir des grands évènements qui y ont eu lieu. Je vous invite à lire les excellents ouvrages de Mathieu Lours à ce sujet. La cathédrale, emblème de la France pour la planète. Monseigneur Joseph Doré, archevèque émérite de Strasbourg écrivait en 2014 : “Symboles civilisationnels majeurs” en parlant des cathédrales. N’oubliez pas cette majestueuse cathédrale Saint-Etienne qui posséde bien des atouts la rendant unique”.

Émotion patrimoniale

En allant près de la cathédrale de Bourges, nous rencontrons un jeune couple venu de la région toulousaine : “ je ne suis pas croyant (nous dit le garçon);  ma compagne est chrétienne mais ne pratique pas trop. Pourtant, nous sommes restés un peu après le Printemps de Bourges pour visiter la ville et les alentours notamment Sancerre ! et goûter à la gastronomie locale. Lundi 15 avril, nous avons eu un grand moment d’émotion. Inexplicable, incontrôlable et ma compagne me dit : il faut aller à cette magnifique cathédrale qui ressemble tellement à Notre-Dame de Paris. Nous sommes allés à Bourges et avons ressenti comme un frisson en pensant à ce qui se passait à Paris. Nous sommes restés longtemps, marchant ou assis pour nous recueillir, je n’avais jamais fait cela de ma vie ; c’est fou non…”? C’est peut-être cela “l’émotion patrimoniale “ décrite par Sonya Faure dans Libération qui ajoute en parlant de Notre-Dame de Paris: “ Ses deux tours habitent notre imaginaire collectif, tout comme le livre de Victor Hugo. Notre-Dame est un patrimoine laïque, un patrimoine pour tous…”. Nous ressentions tout cela en conversant avec ces jeunes sur le parvis de la cathédrale de Bourges et cette magnifique façade avec ses cinq portails qui correspondent aux cinq nefs de l’édifice rendant Saint-Étienne unique en son genre. Cette nef, où la lumière d’ordinaire venue du haut dans les cathédrales gothiques, vient ici des collatéraux (25 grandes verrières du XIIe siècle) donnant à l’ensemble une luminosité extraordinaire et particulière. Une cathédrale gothique pas comme les autres, unique, qui a elle aussi résisté, subi des dégâts mais qui, majestueuse, offre au visiteur, un visuel de choix. Pas si emblématique que son ainée à Paris mais tout aussi envoûtante et ouverte sur l’universel : une cathédrale humaine pour tous. C’est ce qui rassemble ces deux monuments qu’il serait hasardeux peut être de reconnaître comme “sœurs” ou “nièces” mais qu’importe, comme disait Victor Hugo en parlant de la façade de Notre-Dame : “produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d’une époque où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons, la fantaisie de l’ouvrier disciplinée par le génie de l’artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité…”. Notre-Dame de Paris, 1831. En regardant la façade de la cathédrale de Bourges, on pourrait facilement reprendre ces paroles pour apprécier le joyau qui nous est donné d’avoir en Berry.

Jacques Feuillet