Après avoir couvert (au sens de relaté et non pas de caché) une bonne quarantaine de procès de cour d’assises, en tant que journaliste, je me suis, souvent, posé la question de savoir quelle aurait été ma décision si j’avais été juré. Sans trop y croire car, même si mon nom avait été tiré au sort, mon métier m’aurait valu d’être récusé, bien avant que je ne me lève de mon siège, par tous ceux qui avaient pouvoir de le faire en pareille circonstance.
Mon rédac’chef, plus écrivain que juriste, m’ayant demandé un papier d’appréciation sur l’arrêt rendu (10 ans de réclusion devant la cour d’assises du Loiret, le 28 octobre 2014) de l’une des dernières affaires jugées en appel à Blois, mes souvenirs de droit lui ont répondu «On ne commente jamais une décision de justice. C’est interdit par la Loi», ce que m’a confirmé l’un des mes excellents amis, ancien bâtonnier, même si les réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie, d’après lui…Il va falloir adapter la loi aux nouvelles techniques de communication. Mais, si j’avais été juré, j’aurai…
Face à Jacqueline Sauvage, 68 ans, qui a abattu de trois coups de fusil de chasse, de dos, son époux, en septembre 2012, dans le Loiret, sur la terrasse de leur maison familiale de La Selle-sur-Le-Bied, j’aurai écouté, avec attention, le calvaire de cette épouse, mère de quatre enfants, dont un garçon, et ce, depuis près de 50 ans, de la part d’un époux alcoolique, violent, coléreux, incestueux envers ses trois filles, décrit comme fou par celles et ceux qui avaient croisé sa route…etc. J’aurai été étonné d’apprendre que le fils du couple s’était suicidé, la veille même du drame, emportant avec lui, sûrement, de lourds secrets qu’il aurait pu dévoiler, comme ses sœurs, à la barre, pour défendre la mère, leur mère. J’aurai été étonné, comme d’autres jurés, ou comme la cour, de savoir que cette femme battue, humiliée, peureuse devant son homme, n’avait jamais porté plainte pour violences, ne s’en était ouvert à personne et avait suivi son chemin de croix pendant autant de temps. On évolue dans un milieu où on souffre en silence. En se taisant. En s’enfermant. Même au XXIe siècle. J’aurai, peut-être, posé la question de savoir pourquoi les voisins, les amis, les autres membres de la famille, les salariés même de l’entreprise de transports qu’il dirigeait n’ont rien entrepris pour que ça cesse. Il semble que tout le monde avait peur, très peur. J’aurai posé la question de savoir pourquoi cette adepte de chasse, titulaire d’un permis de tuer du gibier, a appuyé par trois fois sur la détente, à bout portant, de dos. Et je me serai souvenu d’un autre drame passionnel qui avait amené devant cette même cour d’assises à Blois un brave chauffeur routier qui avait tué, sous les yeux d’un huissier de justice, son épouse de deux coups de fusil, à la suite d’un problème de garde d’enfants. «Pourquoi deux coups ?» avait interrogé le président de la Cour. L’homme, pas très grand de taille, s’était levé dans son box, et malgré l’injonction de se rassoir, de la part de son avocat, avait interpellé, directement, le président, avec qui il avait chassé, des années auparavant (ce que j’ai appris, bien plus tard, de la bouche même du «tireur») «Vous êtes chasseur comme moi. On assure toujours son premier tir». Froid dans la salle…Si mes souvenirs sont bons, il avait écopé de 5 ans dont trois ferme…et avait repris le volant de son camion, sa peine effectuée.
Tout est relatif donc dans les jugements rendus dans les affaires avec arme à feu en pièce principale. Jacqueline Sauvage a, peut-être, eu tort de tirer trois fois. De dos aussi. De face, elle aurait, peut-être, pu évoquer un semblant de légitime défense bien qu’on ne se promène pas sur une terrasse de maison familiale avec un fusil chargé…47 ans de haine contenue ont ressurgi. Le suicide de son fils, la veille du drame, a sûrement été le déclencheur de cet acte dont la sentence du Loiret a été confirmée en Loir-et-Cher : 10 ans de réclusion, la légitime défense soutenue par ses deux avocates n’ayant pas retenu l’attention du jury.
Si j’avais été juré, j’aurai, en cette quinzaine consacrée, nationalement, aux violences dont sont victimes les femmes, depuis des décennies pour ne pas écrire des siècles, compris le geste de Jacqueline. En cette veille de Noël pour la rendre à ses filles, ses petits-enfants, traumatisés, eux aussi, à vie, j’aurai compris son geste, sans l’absoudre. Et je me serai dit qu’avec plus de trois ans de prison derrière elle, et un espoir d’en sortir en 2016 pour bonne conduite, à mi peine, il eut été conseillé de voter, en son âme et conscience, une peine de 5 ans ferme. Mais il arrive qu’on ne joue pas, en appel, avec de la réclusion…De plus, comme il est interdit de commenter une décision de justice, je penserai à Jacqueline et au routier qui n’avait qu’un fusil à deux coups à sa disposition. Sinon, lui aussi aurait peut-être tiré ses trois cartouches, de face, sur son épouse, sous les yeux d’un huissier qui n’a jamais pu se remettre de ce qu’il avait vécu en live…
Richard ODE.
Pétition pour libérer Jacqueline Sauvage :
plus de 75.000 signatures
Depuis que la cour d’assises de Blois a condamné en appel Jacqueline Sauvage à 10 ans de réclusion pour le meurtre de son mari violent, une vague de mobilisation déferle. Une pétition a été lancée par des internautes et dépasse les 75.000 signatures. Une marche était organisée le samedi 12 décembre à Paris.