Maurice Leroux nous quitte


HOMMAGE Une vie au service des jeunes professionnels, fondateur des Ateliers d’Apprentissage et de la Majo.
L’actualité a parfois de curieux raccourcis, c’est le cas ces derniers mois avec la disparition en quelques semaines de Michel Lombard, président du Gear, et de l’abbé Maurice Leroux, fondateur des Ateliers d’Apprentissage et de Maîtrise de Romorantin et de la Majo.
Ces deux dirigeants ont tous deux, à cinquante ans d’intervalle, relancé la formation à la mécanique par l’apprentissage.

Un abbé chef d’entreprise
L’abbé Maurice Leroux a milité toute sa vie durant pour grandir l’homme par le travail. Né dans une famille d’industriels de la chaussure à Blois en 1925, il aurait pu se contenter de reprendre l’affaire familiale. Au lieu de ça, après des études de menuiserie et de mécanique, il rencontre la foi et devient prêtre. Mais pas un prêtre ordinaire ! Il donnera à son sacerdoce un sens total du don de soi et d’aide aux jeunes par l’apprentissage d’un métier.
Ce grand gaillard athlétique et dynamique a compris avant tout le monde que la réussite d’un jeune passe par l’acquisition d’un métier, et surtout d’un savoir-être tout aussi important qu’un savoir-faire. À l’époque déjà, les métiers manuels n’étaient pas ce dont les parents rêvaient pour leurs enfants, mais Maurice Leroux, sur les traces d’un établissement d’enseignement technique lyonnais de l’abbé Boisard, fonde les Ateliers d’Apprentissage et de Maîtrise de Romorantin. Les ateliers lyonnais seront d’ailleurs d’une grande aide pour obtenir des machines-outils d’occasion cédées par la firme lyonnaise Berliet.

Une usine pédagogique
En 1957, Maurice Leroux ouvre les Ateliers à Villefranche-sur-Cher dans une ferme léguée par Mlle Carré. Les premiers apprentis arrivent, le tout premier Jean Thomas se souvient encore de ces années (voir encadré). Les cours commencent avec le soutien de la Chambre de Commerce du Loir-et-Cher. Des cours de formation générale et des travaux pratiques dans le petit atelier installé dans la grange de Mlle Carré. Petit à petit, les Ateliers deviennent trop exigus et un an après, les ateliers sont déménagés à Romorantin dans des anciens locaux des filatures Normant avec la vingtaine d’apprentis qui donnent un coup de main à ce déménagement. La Chambre de Commerce et d’Industrie du Loir-et-Cher a racheté et aménagé ces locaux, preuve de l’efficacité de l’enseignement dispensé dans les Ateliers de l’abbé Leroux. L’originalité de cet enseignement réside dans la mise en situation réelle pour ces apprentis : ils fabriquent des pièces réelles, demandées par de vrais clients industriels du romorantinais, dans une vraie ambiance d’entreprise, avec de horaires, des objectifs, des plannings, encadrés par des professionnels, parmi eux le chef d’atelier Marcel Loison.
Les Ateliers avaient démarré avec une vingtaine d’élèves, Ils termineront 160 en 1981 au moment du déménagement des Ateliers vers Blois à la demande de la CCI, avec une intégration dans un nouvel établissement le Centre International de Maintenance Industriel (C.I.M.I). L’aventure des Ateliers de Romorantin aura duré 24 ans, et formé près de mille élèves, parmi lesquels de nombreux futurs patrons ou cadres techniques de l’industrie locale !
Alain Courtois ancien président de la CCI se souvient : “ Dans sa vie nous reconnaissons bien les valeurs qu’il nous a enseignées : être généreux, donner sans compter, combattre sans soucis des blessures, travailler sans chercher le repos, et nous dépenser sans attendre d’autres récompenses. “

La Majo
Enseigner la mécanique à de jeunes gens venus des quatre coins du département soulevait le problème de leur logement et de leur restauration. Qu’à cela ne tienne, l’infatigable abbé réquisitionne l’ancienne école de la rue de la Pierre à Romorantin pour servir de foyer aux jeunes travailleurs. La Majo (Maison d’Accueil des Jeunes Ouvriers) venait de naître et continue à accueillir les jeunes ouvriers encore aujourd’hui rue Saint Exupéry.
L’ancien président de la Majo, Jacques Nodin témoigne : “ Maurice, lors des conseils d’administrations, mettait en avant la Majo comme association d’éducation populaire, et il était très présent auprès des animateurs sociaux. Former les Hommes dans le respect des autres et ancrer dans la vraie vie étaient la pierre angulaire de son ministère de prêtre et d’homme. Je pense que Michel Marseille, directeur de la Majo pendant 30 ans, serait d’accord avec moi pour dire que Maurice a toujours soutenu les projets qui ont permis de faire évoluer la Majo. “ Aujourd’hui la capacité d’accueil du foyer a été limitée après le transfert des Ateliers à Blois, et accueille une cinquantaine de jeunes en chambres individuelles.

Homme de foi
Celle qui parle le mieux de la foi de l’abbé Leroux est bizarrement une athée : Maryvonne Bosseray qui l’assista pendant six ans comme secrétaire. Elle, si proche de l’abbé, n’osait pas lui avouer qu’elle ne voulait pas se marier à l’église car elle n’avait pas la foi. Mais après lui en avoir parlé, elle s’entendit félicitée par l’abbé qui détestait l’hypocrisie et reconnaissait la droiture de sa secrétaire. Il en a refusé plus d’un mariage à des couples qui venaient le solliciter pour un mariage à l’église juste pour le décorum de la messe, sans foi réelle ! Un vrai refus de vente, dirait-on aujourd’hui ! Mais surtout le signe d’une foi profonde et d’un grand respect pour les autres, y compris les athées. Maurice Leroux a été pendant toute sa vie curé de différentes communes du département : Suèvres, Romorantin, Villefranche-sur-Cher, Vineuil…
Francis Boinot, responsable de l’aumônerie de l’hôpital de Romorantin, se souvient : “L’abbé Leroux savait écouter et réconforter ceux qui venaient le voir. Il se tenait au courant de l’évolution de l’Église. En revanche il avait un peu bousculé les règlements en modifiant à son idée l’Église Saint-Étienne pour créer de son propre chef un oratoire. “

Plus près du ciel
Rêve de jeunesse réalisé tardivement vers 65 ans, l’abbé Leroux se prend de passion pour le pilotage d’avion et de planeur et obtient ses brevets de pilote à l’aéroclub de Pruniers. Ses amis et nièces se souviennent de ce pilote passionné qui embarquait des passagers dans le petit monomoteur à destination du Mont-Blanc ou de la Vendée, avec souvent la présence de son moniteur Bernard Thuault. Il a cessé de piloter à 75 ans, victime de problème de vue. Tous ses passagers n’oublieront pas ce pilote passionné qui n’hésitait pas à voyager de nuit pour revenir d’une bonne journée au bord de mer, ou aller baptiser un enfant en Creuse !

Kairos
La retraite n’avait pas entamé la volonté et la créativité de l’abbé Leroux. En 2013, il crée un chantier d’insertion pour les jeunes en difficulté, Kaïros-Chambord, pour fabriquer des bateaux traditionnels de Loire en collaboration avec les Marins de Loire du port de Chambord. Il reprend une fois de plus du service pour aider les jeunes en leur redonnant l’espoir avec un métier de menuisier-charpentier, toujours dans l’esprit d’un retour à la vie de groupe, à la camaraderie, à l’entraide. Ce sera le dernier projet de l’abbé Leroux, projet qui perdure au-delà de sa disparition.

Georges BROWN