Il convient, en ce XXI° siècle, de rappeler la définition du mot « obscurantisme » tant il est sorti naturellement du vocabulaire courant. Il semblait, en effet, appartenir au passé et n’être plus qu’un vieux souvenir issu du Moyen Âge. Il est vrai que les savoirs acquis dans divers domaines de l’existence humaine ont permis à l’intelligence d’évincer ce qui est -selon le Grand Robert de la langue française – une « opinion, une doctrine des ennemis des « lumières », de ceux qui s’opposent à la diffusion, à la vulgarisation des connaissances, de l’instruction, de la culture dans les masses populaires. » Et d’autres dictionnaires ajoutent que « l’obscurantisme prône et défend une attitude de négation du savoir. Il refuse de reconnaître pour vraies des choses démontrées. Il pose des restrictions dans la diffusion des connaissances. Il est contre la propagation de nouvelles théories. » Ainsi, grâce aux progrès de la médecine -et qui pourrait le contester ? – l’humain a réussi à éradiquer certaines maladies, à reléguer dans la nuit des temps les épidémies qui ont décimé des populations du monde entier (la peste noire, la grippe espagnole, la grippe asiatique, la poliomyélite, la fièvre jaune etc.) et à allonger considérablement la durée de vie puisqu’elle était, en 1740, de 24 ans pour les hommes et de 26 ans pour les femmes tandis qu’elle est à notre époque -chiffres de l’O.N.U et de l’O.M.S à l’appui – de 79,1 années pour les hommes et de 85,1 pour les femmes. Pourtant, aujourd’hui, l’idée même de progrès scientifique, est remise en cause. Un phénomène actuel envahit, semble-t-il, les civilisations occidentales ; on le nomme « complotisme » et « conspirationnisme ». Il est étonnant, déconcertant surtout, de constater -c’est un fait ! – que des groupes humains, organisés et de plus en plus nombreux, essaiment à travers le monde des théories remettant en cause des connaissances avérées au prétexte que la gent humaine serait dominée et manipulée, disent-ils, par « des gens financièrement puissants pour établir des sociétés dont le fonctionnement serait basé sur le satanisme et la pédophilie. » Cette curieuse idée, apanage du mouvement « QAnon » né aux États-Unis, soutien de Donald Trump et ayant organisé la tentative d’assaut du Capitole à Washington (c’était le 6 janvier dernier), est non seulement véhiculée avec un certain succès, via Internet et les réseaux sociaux, sur toute la planète, mais ne se borne pas à cette seule affirmation ; d’autres thèses aussi fantaisistes s’épanouissent aussi à travers d’idées loufoques selon lesquelles, par exemple, l’attentat meurtrier du marché de Noël de Strasbourg (décembre 2019- 5 morts et 11 blessés) serait « une manipulation du gouvernement pour inquiéter les Français en plein mouvement des gilets jaunes », que le « réchauffement climatique n’existe pas mais qu’il est une invention des scientifiques pour défendre leurs intérêts », que « les trainées blanches laissées dans le ciel par les avions sont composées de produits chimiques délibérément répandus pour des raisons secrètes » etc. Cette incroyable pensée, si cela en est une, touche également les recherches savantes. Il est vrai que la pandémie de Covid-19, avec ses conséquences et en particulier la découverte et la mise sur le marché des vaccins, en un temps record, a attisé les esprits torturés des complotistes. Après avoir contesté le port du masque qui, selon une population hétéroclite composée de conspirationistes, de complotistes et de militants de tous horizons contre les mesures générales sanitaires, serait, pour les uns, anticonstitutionnel (pourquoi pas ?) et bizarrement, pour les autres, un outil pour (citation) « contrôler les esprits ». Or, aujourd’hui, ces mêmes gens prônent la nécessité absolue de porter le masque. Pourquoi ? Pour se protéger des gens vaccinés. Oui m’sieurs-dames, nous en sommes là ! En effet, les complotistes sont persuadés – ils le disent et le font savoir à grands renforts de conférences et d’articles de presse – que les personnes vaccinées émettent des particules nocives, des « excrétions vaccinales » qui contamineraient celles et ceux qui auraient choisi de ne pas se faire vacciner ! Ainsi, et toujours selon ces groupes conspirationnistes, fréquenter des citoyens vaccinés provoquerait des « vertiges, des douleurs de toutes sortes, des fausses couches, des hémorragies. » Et encore, selon eux, le vaccin serait « une arme biologique. » C’est en tout cas ce que prétendent des internautes américains. Des assertions actuellement reprises par des sites français d’informations alternatifs. L’ensemble de ces théories, exposées et malheureusement accueillies favorablement par une importante partie des opinions publiques européennes et américaines, pourraient prêter à rire et à les considérer comme un phénomène passager lié aux incertitudes scientifiques de la Covid 19, notion que l’on peut étendre à d’autres virus, mais les services de renseignements de plusieurs pays européens, le F.B.I américain aussi, qualifient la montée du complotisme à travers le monde de très inquiétante et craignent, après la pandémie, la naissance d’un terrorisme intérieur et civil au point que plusieurs gouvernements (dont l’Allemagne) ont déjà mis en place des services spécialisés pour lutter et briser de tels réseaux de désinformation. Si la Covid 19 nous dit que le monde est malade, on est en droit de se demander si ce monde-là n’est pas simplement devenu fou.
Éric Yung