C’est lors d’un séjour chez ses amis Carraud que Balzac découvre Issoudun et entend parler des Massepains, qui le régalent à son tour. Il recueille également ici les éléments d’une aventure qui va devenir un roman sous le nom de «La Rabouilleuse».
Créé par les Ursulines, religieuses d’Issoudun, peu avant la révolution, le Massepain d’Issoudun est l’une des plus anciennes spécialités de France. Friandise ou gâteau, le Massepain d’Issoudun, fait d’amandes pilées, de sucre et de blancs d’œufs, est une de ces douceurs que l’on peine à classer. Longtemps considéré comme une pâtisserie, il appartient aujourd’hui au domaine de la confiserie. Le Massepain a su accroître la renommée de la petite ville d’Issoudun. Honoré de Balzac séjournant dans la cité pour écrire son roman «La Rabouilleuse», découvre le Massepain et en fait la promotion.
Le Massepain régale les révolutionnaires puis l’Empereur Napoléon Ier, captif sur l’île de Sainte-Hélène, qui s’en fait apporter. En 1819, René Aufrère, pâtissier de son état, reprend la recette. Durant un demi-siècle, sa fabrication permet à la ville d’Issoudun d’être connue dans le monde entier. Aufrère compte parmi sa fidèle clientèle un grand nombre d’hommes d’état et de célébrités. Le pape et le Tsar de Russie le prisent beaucoup. Dans son roman «La Rabouilleuse», on appelait ainsi les enfants battant le ruisseau pour déloger, au profit du pêcheur, les écrevisses alors nombreuses, Honoré de Balzac fait l’éloge de la spécialité issoldunoise. Il écrivait : «Elle tirait d’une armoire une fiole contenant du cassis, une liqueur de ménage faite par elle, car elle en avait eu la recette de ces célèbres religieuses auxquelles on doit le «Massepain d’ Issoudun. Le gâteau d’Issoudun est l’une des plus grandes créations de la confiturerie française et qu’aucun chef d’office, cuisinier, pâtissier ou confiturier n’a pu contrefaire». Dés sa parution, en 1842, le roman obtient un franc succès littéraire. En mars 1844, un confiseur parisien, doué d’un sens incontestable de la publicité, inonde la capitale de prospectus sur lesquels on peut lire : «Messieurs, je viens d’ouvrir 8 bis rue Vivienne, un magasin pour l’exploitation de ce produit dont la réputation dans le Berry a plus d’un siècle d’existence et dont le plus remarquable romancier de notre époque parle ainsi dans l’un de ses ouvrages…». Suit alors l’extrait de La Rabouilleuse cité plus haut. Il n’en faut pas plus pour qu’aussitôt le bruit se répande dans Paris que Balzac s’était fait pâtissier. La curiosité et le snobisme aidant, le tout-Paris de l’époque se précipite dans la boutique de la rue Vivienne. On ne doit à aucun prix manquer un tel événement. La machination a porté ses fruits et le Massepain d’Issoudun est lancé dans la capitale.
Si René Aufrère a apporté une grande renommée à la recette que les ursulines du couvent local exploitaient près d’un siècle avant lui, la fabrication de cette douceur paraît être bien antérieure à leur époque. On la cite déjà au Moyen-Age. Une anecdote raconte, mais celle-ci est invérifiable, que pendant les guerres de religion, Gaspard de Chatillon, sire de Coligny et amiral de France passé à la réforme, raffolait des Massepains. Sur le point de livrer une bataille dans les environs d’Arnay-le-Duc il fit , la veille, une consommation abusive de ces friandises, ce qui provoqua chez lui une cruelle indigestion. Incapable de mener ses troupes au combat, l’affrontement fut une véritable catastrophe et les protestants furent vaincus. Ainsi, avant de devenir la spécialité d’Issoudun, le Massepain aurait sans doute fait la renommée d’Arnay-le-Duc. Par contre, il est indéniable que ce gâteau aux amandes a connu, depuis des temps très reculés, une notoriété internationale. Le produit : «Pâte d’amandes» se décline d’ailleurs dans plusieurs langues sous le vocable «marcipani», en italien, «marzipan», en allemand, etc.
La légende veut que le Massepain naisse en Italie, à Venise. La ville souffre d’une grande famine et se retrouve à court de pain. Ne possédant pas de farine pour en fabriquer, les Vénitiens ont alors l’idée de broyer ensemble des noix et des amandes. Ils y ajoutent du sucre et du miel et fabriquent avec la pâte ainsi obtenue des petits pains qu’ils mettent à cuire. Ils baptisent cette préparation «Marci Pani», pain de Marc, pour rendre hommage au saint patron de la ville. Une fois la disette passée et le pain revenu, les Vénitiens continuent la fabrication des petits pains de Marc et les consomment à l’occasion de la fête du saint, sous forme de friandise.
Au début du siècle, après une éclipse de quelques décennies, la maison Dujardin, dont la boutique se trouvait rue Porte-Neuve (l’actuelle rue Daniel Casanova), reprend la fabrication des Massepains dans la stricte tradition. Le chef pâtissier, monsieur Caron, sait redonner à cette confiserie issoldunoise, le lustre qu’elle a connu par le passé. La maison Dujardin exerce son activité avec bonheur jusqu’en 1960. Oubliée une nouvelle fois pour quelque temps encore, la confiserie réapparaît en 1989, rue de l’Amandier (un nom prédestiné), dans les établissements BENUX, sous la direction de monsieur Guyard. Malgré les quelques éclipses qu’a connues le Massepain; la recette, transmise de générations en générations, est parvenue intacte jusqu’à nos jours. La tradition est sauve et le gourmet peut se régaler avec la même confiserie qui a enchanté ses ancêtres. La réputation du Massepain est telle aujourd’hui qu’après avoir investi les épiceries les plus fines de la capitale, il est exporté dans le monde entier.
Goûter un Massepain, c’est se plonger délicieusement dans l’histoire culinaire locale. Durant plusieurs siècles, la volonté de quelques hommes de l’art est parvenue à sauver de l’oubli un des fleurons de la confiturerie française. Grâce à Balzac, c’est aussi une invitation à se promener dans une petite ville au charme sans pareil. Comme l’écrivait le grand homme : «On ne dîne pas aussi luxueusement en Berry qu’à Paris, mais on y dîne mieux». Les plats sont médités et étudiés, nous dit-il. Dans son roman «La Rabouilleuse», il ajoute qu’on trouve en province des «Carêmes en jupon», et parle des époux Cognet. Le mari est un ancien palefrenier, son épouse, une cuisinière en maison bourgeoise. Plus connue sous le sobriquet de Cognette, elle donnera son nom à une auberge encore très renommée de nos jours. Le gourmet pourra se régaler de spécialités régionales comme, entre autre, le poulet au sang, les œufs à la «couille d’âne», un filet de carpe ou un coq en barbouille. Il peut accompagner ces plats de lentilles vertes du Berry, d’une galette de pommes de terre ou d’une salade à l’huile de noix, puis monter à l’assaut de l’un des nombreux fromages de chèvre avant de fondre pour quelques savoureux Massepains. En vérité, si la confiserie la plus réputée d’Issoudun est un délice dont on ne doit pas se priver, c’est encore sur place qu’on la déguste avec le plus grand plaisir.