Nous connaissons tous le croquet, ce petit biscuit fait de presque rien et devenu, au fil du temps, un accompagnement raffiné du chocolat au lait, du thé ou du café. Il est originaire d’un peu partout mais le Berry a su lui donner une place de choix et marquer sa différence.
Autrefois, c’était une façon parmi d’autres d’accommoder les restes. Lorsque la mère faisait un gâteau de fête avec des jaunes d’œufs, elle mettait les blancs de côté ; cuisinés avec un peu de sucre et de farine, ils devenaient parfois des croquets, biscuits maigres et durs, pas mauvais à condition d’être bien trempés dans du vin chaud ou dans un bol de lait. Aujourd’hui, à la maison, on fait plus riche : du beurre et des amandes dans la pâte, dorée au jaune d’œuf avant de passer au four. Amandes ou noisettes ? Cela se discute. Revenons aux traditions. En ce temps-là, « la rareté des pâtisseries s’expliquait par la cherté du sucre et le désir de réserver à la vente le plus possible d’œufs, de lait et de crème1 ». Le croquet, biscuit rugueux, maigre et discret, était bien mieux marié avec la noisette, le fruit des sous-bois, qu’avec l’amande, qui venait de trop loin. Aujourd’hui, les distances ne comptent plus, le croquet est comme le chocolat, fourré aux amandes ou aux noisettes, il en faut pour tous les goûts.
Arnaud Emorine a choisi les amandes « qui se conservent un peu mieux que les noisettes », croit-il. Pâtissier installé sur les hauteurs de Sancerre, il est l’héritier d’une longue tradition. Depuis 1872, ses prédécesseurs ont fabriqué « ce biscuit de trempage qui permettait de donner du goût au vin du pays », lequel n’était pas encore la prestigieuse AOC que nous connaissons aujourd’hui. Actif et enthousiaste, Arnaud a repris la recette plus que centenaire et créé des variantes, parfumées au raisin, à la praline ou au chocolat. Voici donc, le croquet de Sancerre, marque déposée, authentique produit berrichon, croquant et parfumé, commercialisé au cœur de la ville haute, tout près du Beffroi, dans une boutique au nom bizarre, « Le Lichou2 ». Empaqueté avec élégance, le petit gâteau sec est une affaire qui commence à déborder du Sancerrois pour atteindre Bourges et au-delà.
Le croquet de Charost a des origines plus anciennes encore que celui de Sancerre, si l’on en croit la légende que Marie Chartin, l’actuelle propriétaire de l’entreprise, raconte bien volontiers : en 1848, un pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle, qui avait demandé l’hospitalité au boulanger Aubert de Charost, aurait donné en remerciement la recette d’un biscuit, sans matière grasse, énergétique et qui se garde longtemps, à grignoter le long du chemin. Ce biscuit, c’est le croquet de Charost, fabriqué maintenant à Neuvy-Pailloux. La biscuiterie, toujours dénommée « de Charost », a grandi sans abandonner son savoir-faire artisanal mais, comme à Sancerre, en élargissant sa gamme. Sans parler des sablés, délicieux mais différents, voici donc le mini croquet, très proche de son grand frère, sauf que l’amande est broyée au lieu d’être entière. Et puis les croquinettes, qui ne sont pas des aliments pour chat mais « la déclinaison féminine du croquet », comme le dit joliment Marie Chartin : toujours des amandes, de la farine et des œufs frais mais un mélange présenté sous la forme de tuiles croustillantes, bienvenues à l’heure du thé.
Alors, tous les croquets du Berry sont-ils truffés d’amandes ? Justement pas. Rendez-vous à Baugy où officie Daniel Mercier, Maître artisan pâtissier chocolatier, héritier d’une famille qui est dans le métier depuis 1912. Impossible, évidemment, d’évoquer la multitude de friandises qui sortent chaque jour des ateliers de cette entreprise d’une quarantaine de personnes. Son « croquet du Berry » est dans la tradition, oui bien sûr, mais avec un zeste d’originalité ; Daniel préfère les noisettes aux amandes. Le goût est un peu plus âpre, plus typé mais aussi plus subtil ; il évoque les saveurs d’automne, le coudrier qui pousse dans les bouchures ou le petit bois tapissé de feuilles mortes ; il est peut-être un peu plus rustique et, pour tout dire, un peu plus sauvage que les autres. Le Maître dit : « la noisette a une saveur plus prononcée et une typicité totalement différente de l’amande, qui est plus fade. L’équilibre du biscuit paraissait plus intéressant et c’est cette voie que nous avons suivie. » Bonne intuition : ici le goût du pâtisser prend appui sur le savoir-faire des anciens mais rejoint le « petit goût de noisette » dont on parle autant dans la pâtisserie que dans la restauration à propos des volailles rôties, de l’huile, des huîtres, du vin et de la bière. Il est comme ça Daniel. C’est bien lui qui écrit dans son blog : « Dans la pâle lumière de l’aube berrichonne, saveurs anciennes et goûts contemporains s’associent et se mélangent délicieusement ». Rêveur parfois, manageur souvent, créateur toujours.
Et, pour finir, croquets aux amandes ou croquets aux noisettes ? Prenez les tous et emportez-les avec vous si vous voyagez. Bonnes vacances !
1 Agnès Desquand, Boire et manger en Sancerrois au temps de la cuisine à l’âtre, 1977. 2 Nom d’un gâteau, à base de pâte d’amandes, lui aussi, fabriqué sur place.