Les avocats du barreau de Blois sont toujours mobilisés contre le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Depuis fin avril 2018, ils ont totalisé un mois de grève et manifesté à plusieurs reprises. Le point sur les raisons de leur colère.
Les avocats de Blois ont organisé une soirée débat le 4 février, à Blois, sur le thème « Quelle justice pour demain ? ». En effet, ils ont souhaité intégrer la justice dans le Grand débat national et sensibiliser les citoyens aux différents points du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui cristallisent leur colère. Leur mobilisation ne faiblit pas depuis fin avril 2018 – date de présentation du projet par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet – et ils dénoncent un projet de « e-justice, automatisée, déshumanisée et inaccessible » alors que, selon eux, « la solution est une justice moderne et simplifiée, égalitaire, réparatrice et régulatrice ». « Notre profession pourra toujours s’adapter mais nous dénonçons un projet qui va à l’encontre de l’intérêt général, avec une visée uniquement économique, qui va avoir un impact sur l’accès au droit et sur la vie des gens au quotidien car nous sommes tous justiciables », s’indigne maître Sarah Lévêque, avocate au barreau de Blois. Le projet prévoit notamment un règlement des litiges portant sur la réévaluation des pensions alimentaires par la Caisse d’allocation familiale, sans passer par un juge des affaires familiales, sauf pour les cas complexes. « Le montant sera déterminé par un logiciel, sans prendre en compte certains éléments comme les besoins de l’enfant, les charges de la personne qui a la garde, ses revenus, son patrimoine… Il y a une déshumanisation de la famille », explique l’avocate.
Plainte en ligne
Autre point de discorde : la généralisation de la plainte en ligne (déjà possible pour les diffamations et atteintes aux biens). Cela préoccupe particulièrement les avocats, notamment pour les victimes de violences qui ont déjà parfois des difficultés à aller porter plainte. « La réalité du manque de moyens dans les commissariats et gendarmeries fera que de nombreuses personnes seront redirigées vers la plainte en ligne mais les victimes les plus fragilisées se sentiront démunies sans accompagnement, et comment feront les personnes qui n’ont pas accès à internet ? », soulève maître Lévêque. Par ailleurs, une médiation préalable, obligatoire et payante serait mise en place, ainsi que la création de plateforme de résolution des litiges en ligne. « L’intervention d’un avocat n’est pas prévue pour tous les litiges et notamment ceux de moins de 10 000 euros, mais comment cela va se passer si une médiation n’est pas possible ? Et dans le cas de victimes de violences conjugales quand il y a un déséquilibre des forces ? Qui payera le médiateur ? Comment sera garantie l’impartialité ? », s’interroge l’avocate, avant d’ajouter : « Une fois de plus, on enlève l’humain au détriment du justiciable ». Le projet de loi prévoit aussi la suppression des jurés à la cour d’assises et la création d’un tribunal criminel départemental composé de cinq magistrats pour juger les crimes punis de 15 à 20 ans. « Le jury populaire a été créé à la Révolution française et c’est important car il est le seul lien direct du justiciable avec la justice », souligne maître Lévêque avant de poursuivre : « Le jugement sera peut-être plus rapide, mais le temps du procès est nécessaire pour aider les victimes à se reconstruire ». Enfin, le tribunal d’instance fusionnerait avec le tribunal de grande instance, ce qui pourrait, selon les avocats, entraîner des déserts judiciaires. « Les magistrats d’instance qui traitent des litiges du quotidien sont des magistrats de proximité qui ne sont pas seulement là pour juger mais qui apportent un accompagnement important, donc cette fusion signifie la suppression de la justice de proximité ». Le projet de loi sera examiné en nouvelle lecture par le Sénat le 12 février.
Chloé Cartier-Santino