Le confinement a, soyons honnêtes, aussi quelques vertus, outre celles premières d’éviter la saturation des hôpitaux et une inflation de l’épidémie, il permet à beaucoup d’entre nous, d’appréhender autrement leur quotidien, de faire une pause dans cette vie habituellement si frénétique et de se sentir chez soi en sécurité. Enfin, c’est ce que je pensais… jusqu’à ce que je tombe sur un post Facebook d’un de mes contacts. Occupée à faire défiler nonchalamment mon fil d’actualité, mes yeux se sont écarquillés à la lecture d’une publication dans laquelle son auteur dénonçait son voisin qui gardait ses petits-enfants… Légèrement abasourdie, je me suis mise à scruter ma clôture, mes voisins ne seraient-ils pas en train de m’épier ? Mes yeux sont tombés sur mon verre de Coca et la bouteille en plastique. Oui, en plastique. Mon voisin écolo n’allait-il pas me dénoncer, moi pollueuse d’océans ?
On se méfie du virus, mais on oublie ses voisins et pourtant…
Toujours installée derrière mon ordinateur, je me suis mise à faire des recherches pour vérifier si la délation était seulement le fait de ce contact, dont la colère avait sans doute été exacerbée par le confinement. Malheureusement je suis tombée sur pléthore d’articles en ce sens.
Certains vont au-delà des réseaux sociaux et sont même prêts à donner un petit coup de téléphone à la police si nécessaire. Depuis le 17 mars dernier, le nombre d’appels pour dénoncer des personnes qui ne respectent pas les règles du confinement pendant l’épidémie de coronavirus « peuvent atteindre jusqu’à 70 % de la totalité des appels reçus par la police dans les grandes agglomérations » d’après une enquête de France Info auprès du syndicat Alternative Police. De l’aveu même des autorités, les forces de police et de gendarmerie sont surprises par le caractère répétitif, voire appuyé, de certains appels.
À Paris, Frédérique Calandra, la maire du XXe arrondissement a ainsi demandé à ses administrés de mettre un terme aux dénonciations calomnieuses dans un courrier : « Autant, lorsqu’il s’agit de dénoncer des violences faites aux femmes, aux enfants, des trafics de drogue, je suis toujours à l’écoute. Mais ces courriers stigmatisant des Parisiens qui souhaitent seulement s’évader quelques minutes de leur environnement, c’est inadmissible. »
Sur France Info, Sylvain André du syndicat Alternative Police a rappelé « qu’il est opportun de téléphoner au 17 pour dénoncer une personne par exemple qui a commis un crime ou un délit, si votre voisin commet des violences conjugales sur son épouse ! Il convient de ne plus faire le 17 pour signaler les manquements aux règles de confinement ». Cela sature le système des appels et risque de compromettre les interventions pour les situations d’urgence !
La délation ne connaît donc pas la crise.
Il est vrai que la frontière n’est pas toujours aisée à tracer entre acte citoyen et coup bas. En effet, si le code pénal (article 434-1) fait obligation «pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés» d’en informer les autorités (et pas de le balancer sur Facebook), cela ne concerne que les crimes, pas les délits ou les incivilités. A contrario, dénoncer quelque chose qui n’est pas illégal peut vite devenir un délit, la diffamation. Rassurez-vous, si vous êtes dans l’obligation de faire garder vos enfants par les grands-parents ou un membre de la famille, cela n’est pas illégal*, mais déconseillé, vous risquez juste les propos malveillants de votre voisin, qui, lui, en revanche se met en situation délictueuse s’il les diffuse sur les réseaux sociaux. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé.
Comme disait Desproges, « Le voisin est un animal nuisible assez proche de l’homme. »
Frédérique Rose
* Si les pouvoirs publics ne condamnent pas explicitement la garde des enfants par les grands-parents, ils rappellent que les personnes âgées étant considérées comme vulnérables face au coronavirus, les contacts entre grands-parents et petits-enfants doivent être évités dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Le gouvernement a mis en place un arrêt de travail sans jour de carence pour pouvoir s’occuper de ses enfants, laissés à la maison en raison de la fermeture jusqu’à nouvel ordre de tous les établissements scolaires. Cet arrêt de travail peut durer jusqu’à 21 jours. Notez qu’aucune des cases de l’attestation de sortie dérogatoire ne prévoit de transporter les enfants vers le lieu de garde, quel qu’il soit !