Après une carrière aussi brillante que médiatique, le tombeur de Bernard Tapie envisage une retraite paisible au soleil de Provence, loin des affaires et des magouilles qu’il a combattues avec fermeté et intransigeance. La robe de procureur rouge vermillon rehaussée de l’écharpe d’hermine blanche semble vide sans son maître à quelques jours de la retraite, suspendue dans un coin du bureau d’Éric de Montgolfier. Regard froid et mine austère, au premier contact il incarne bien l‘idée que monsieur tout le monde se fait du procureur. Mais à y regarder de plus près l’œil prend vite un éclat d’amusement et d’intérêt au fur et à mesure des questions que je lui pose avec circonspection. Un sourire malicieux éclaire même le visage sérieux à l’évocation de quelques turpitudes niçoises. Derrière le Proc se cache un homme, un vrai, un humaniste qui honore ses origines aristocratiques en s’imposant à lui-même comme aux autres une rigueur et une morale exemplaire.
Une carrière agitée
Né à Lyon en 1946, le jeune Éric de Montgolfier rêve de devenir chirurgien, mais ses notes en maths le poussent plutôt vers la carrière juridique. Fils d’un industriel aisé, à seize ans il fait part de son souhait d’embrasser une carrière juridique après avoir assisté à un procès au tribunal de Montluçon où vivait sa famille, au grand dam de son père qui lui assène que c’est un «métier de cons». Raison de plus pour l’adolescent de persévérer. Il rate la révolution étudiante de 68, rapatrié à Montluçon par le chauffeur paternel dans la limousine familiale. Entré à 25 ans à l’École Nationale de la Magistrature de Bordeaux, il en sort avec un rang qui lui laisse le choix de son poste. Entre temps il découvre un univers de pauvreté et de dénuement au cours de son service de coopération effectué comme enseignant dans le sud algérien, à Béchar. Puis il intègre le Ministère de la Justice à Paris en 77 après un stage obligatoire à Caen. Au ministère de la Justice il se frotte pour la première fois aux affaires financières et aux intrusions du politique dans les affaires d’argent.
L’Affaire OM/VA
Après un bref passage comme procureur à Chambéry, Éric de Montgolfier est nommé à Valenciennes en 1992 et atteint une renommée médiatique nationale dans l’affaire du match de football truqué Valenciennes/OM. Le club marseillais au sommet de sa gloire, au hit parade de la coupe d’Europe, face au club de Valenciennes au bord de la relégation. Normalement le résultat n’aurait pas dû porter à conséquence pour Marseille, mais son président de club Bernard Tapie avait voulu mettre toutes les chances de son côté en soudoyant quelques joueurs de Valenciennes pour garantir la victoire.
Après un procès rocambolesque dans lequel ni Bernard Tapie ni des élus du Nord ne ressortirent indemnes, Bernard Tapie purgea une peine ferme de six mois de prison.
Cette affaire révéla l’importance des médias largement utilisés par Bernard Tapie et ouvrit la porte à une communication plus large des procureurs vers la presse lors d’affaires de justice.
Salade niçoise
En 1999 Éric de Montgolfier, auréolé de son succès nordiste, est chargé par Élisabeth Guigou Ministre de la Justice de l’époque de «faire le ménage» au Tribunal de Nice soupçonné de collusion avec les politiques locaux dans une ville dirigée par un maire de droite sous un gouvernement de gauche… Comprend qui peut ! Un environnement délétère que notre procureur, surnommé «l’indirigeable» par une fine allusion à ses ancêtres inventeurs de la Montgolfière, mais surtout pour son indépendance d’esprit et son anticonformisme, se fera un plaisir de secouer et de remettre en ordre, ou tout au moins d’essayer pendant treize années difficiles.
Pots de vin, petits arrangements entre amis, dossiers enterrés, pressions des francs-maçons, un vrai roman de Pagnol à la sauce judicaire. Surprise de notre naïf Don Quichotte qui n’en revient pas des tentatives de corruption, menaces, intrigues dans les dossiers en cours au Tribunal de Nice, mêlant des notables, des commerçants peu scrupuleux, des élus de tous bords et de tous niveaux. Il ne se fait pas que des amis, et c’est un euphémisme !
Gardien du temple des procédures pénales et de la morale, son séjour niçois mit en émoi le monde de la magistrature locale par ses interventions fréquentes dans les procédures, ses contrôles des gardes à vue et sa propension à mettre son nez où il ne faut pas. La chasse est ouverte : affaires classées sans suite ou a minima, accusations de pédophilie qui s’enlisent, un juge d’instruction franc-maçon mis en garde à vue pour consultation abusive du fichier des casiers judiciaires, branle-bas de combat dans la capitale de la Cote d’Azur.
Après treize ans de pastis niçois, le plus célèbre des procureurs de France, lassé par l’adversité et l’inertie des dossiers, demande une mutation qui lui est enfin accordée à un an de la retraite, ultime pied de nez de l’administration judiciaire, dans l’une des plus petite cour d’appel de France, Bourges, avec une promotion de procureur général. Nice souffle, Bourges s’inquiète, inutilement, à un an de la retraite notre pourfendeur de magouilles judiciaires pense déjà à sa retraite en Provence…
Bonne retraite Monsieur le Procureur Général, oubliez vite le monde de la magistrature et profitez du soleil du Sud.
G.Brown
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