Le monde d’après devait venir. Après le Covid-19, c’était certain. On ne pouvait pas continuer comme avant. Le jour d’après était déjà là. L’aube d’un nouveau monde se levait.
Heureux les innocents, les bisounours, les gentils et les à peine méchants. Sur les balcons, au coin des rues, on allait applaudir le soir à 20h00 pour dire combien on était content. À la fin de la pandémie, celle qui avait définitivement envoyée aux oubliettes les derniers avatars du modèle Tayloro-fordien de notre système économique, celle qui avait éradiqué l’omnipotence des grands hommes des démocraties modernes de Turquie, de Russie, de Hongrie, celle qui avait démontré que les métiers de base sont indispensables pour que les supposées élites se la pètent, et se prennent pour ce qu’elles ne sont pas, on effaçait tout. La planète allait connaître une ère de béatitude. La Toile allait devenir un univers de réseaux vraiment sociaux. Les Facebook, Tik-tok, Instagram pic et pic et colégram allaient rassembler la planète sous les signes de l’intelligence, du savoir, de l’empathie, de la justice, du vrai, du concret, du réel … On se doutait bien que ce ne serait pas si simple, mais avec des efforts, menés par nos illustres mandarins, nos guides suprêmes, nos pilotes de vie, nos génies politiques des temps nouveaux, nos Macron, Johnson, Merkel et autres, le jour d’après était déjà là, beau et bon tout à la fois. Juste au bout de cette nuit Covidiesque. Certes devenir parfait n’allait pas se faire en un seul jour. On allait essayer tous ensemble, tous ensemble. Certains n’y arriveraient pas, même après plusieurs réincarnations. À la manière de Prévert, même après être passé de libellule à papillon, ils ne pourraient pas tous devenir pape. Par contre, pour les autres … Le professeur Grimaldi, professeur émérite en diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière, allait être écouté et son « Cette logique d’hôpital-entreprise commerciale n’a aucun sens » allait être entendu. Si, si, le jour d’après était déjà là. L’économie selon Piketty était enfin comprise. C’est dire !
Et puis, au matin, gueule de bois et marteau piqueur dans la tête …
Manu, trémolos dans la voix et fort accent Churchillien, nous a promis du sang et des larmes, et annoncé qu’il faudrait bosser beaucoup plus à la rentrée. Édouard Philippe a démissionné son gouvernement et Jean Castex a missionné le sien. Donald a continué de tweeter. Xi Jinping a décidé que Hong Kong c’était bien en Chine, et que « un pays, deux systèmes » c’était pipeau et compagnie. Erdogan a raconté, juste pour se faire mousser, et montrer qu’il est bien plus grand homme qu’Atatürk lui-même, vouloir redonner sa fonction de mosquée au musée qu’est la cathédrale Sainte-Sophie. Poutine a décrété que personne d’autre que lui pouvait sauver la Grande Russie. Dans ce contexte, il valait mieux qu’il devienne immortel à vie. Comme Ramsès ou Khéty (de I à VII). Calculettes à l’appui, les trésoriers de la cour des comptes ont additionné la dette et ré-ajusté les valeurs du PIB. Quelques députés et sénateurs LREM se sont associés au concert créatif de leurs collègues LR. Les uns ont mis en place des comités Théodule. Les autres sont entrés en commission comme on entre dans les ordres, robe de bure pour seul vêtement, livre du Messie Sarkozy dans une main, leurs propres saintes écritures dans l’autre. L’exemple est venu de haut, de moins haut, du pas haut du tout, même du bas et du très bas ! Les chevaliers blancs, noirs, jaunes ou rouges du net ont repris leur déversement de vomissures, de bêtises, de saloperies, de jalousies, masqués derrière des pseudos et des identités bidons. La vie normale a repris ses droits et la connerie a toujours pignon sur rue.
Il faudra donc attendre encore un peu pour le jour d’après. Laissons rêver les utopistes, mais pour les lendemains qui chantent, il vaut mieux oublier tout de suite !
Fabrice Simoes