Michel Philippo, votre nouveau roman Le crépuscule des ronces vient de paraître aux Éditions Marivole. Qu’est-ce qui se cache derrière un titre à la fois poétique et disons-le intrigant ?
Vous posez la bonne question et vous avez raison d’aborder le sens profond de ce roman par le titre.
Le crépuscule des ronces fait écho à un autre roman Les ronces, paru en 1982 et signé Jean-François Guilloux dont j’étais très proche. Un roman fortement empreint par une écriture et un univers à la Boris Vian, celui de L’écume des jours. Alors ces ronces, c’est quoi ? C’est tout ce qui nous empêche de vivre, c’est tout ce qui nous empêche d’aller où l’on désire aller, qui nous empêche d’être tels que nous sommes et qui font ce que font les ronces, c’est-à-dire qu’elles s’insinuent de manière imperceptible, petit à petit jusqu’à nous étouffer. Le crépuscule des ronces est une allusion directe à ce titre. Crépuscule parce qu’effectivement cette amitié connaît une issue fatale. On ne va pas trop dévoiler les choses. Mais oui, voilà, il y a une forme de déclin. Le passage de la lumière à l’obscurité …
Ce roman met donc en scène deux personnages principaux, Michel Fertholet et Fañch Le Marrec. Quel lien existe-t-il entre eux ?
L’amitié ! Tout simplement l’amitié ! Pure. Indéfectible et qui s’enracine dans une perception commune de notre humaine condition. Après l’échec de leurs mariages respectifs, seule demeure la certitude inaltérable de cette amitié que Michel Fertholet et Fañch Le Marrec partagent sans concession avec la même lucidité et le même regard sans illusion porté sur le monde. Il y entre aussi un immense amour de la vie ce qui n’empêche en rien une forme de désespoir combattif face aux épreuves traversées.
Quel est le rôle de la littérature dans votre roman ?
D’abord il faut savoir que les deux personnages sont écrivains et dans Le crépuscule des ronces Michel Fertholet, mon narrateur, est en train d’écrire un roman. Et il écrit un roman sur un auteur qui lui-même écrit un roman. Et c’est parce que la littérature les anime que malgré les épreuves, malgré « la Vieille » – la maladie qui ronge peu à peu Fañch, Le crépuscule des ronces n’est pas un roman triste. Pour chacun d’entre eux la littérature, l’écriture et plus largement toute forme d’art, transcendent nos existences. L’œuvre dépasse son créateur en lui survivant.
Nos vies sont tragiques et chacun sait comment tout cela se termine, mais créer donne du sens à cette tragédie.
J’ai lu sous la plume d’un journaliste que Le crépuscule des ronces était aussi une forme de road-movie. Est-ce que vous partagez cet avis ?
On pense évidemment tout de suite à Kerouac ou à Jim Harrison, mais je suis très loin d’une telle ambition ! Pourtant, en effet le terme s’applique à une partie du roman. Avec les deux personnages, le lecteur va embarquer à bord du vieux J7 aménagé prénommé Alfred et accompagner Mike et Fañch dans cette itinérance ultime, cette quête des origines qu’ils poursuivent ensemble, vers les rivages d’Armor et les landes écorchées des Monts d’Arrée.
Votre éditeur définit Le crépuscule des ronces comme de la littérature blanche. Qu’en pensez-vous ?
Je pense d’abord qu’il me fait beaucoup d’honneur si l’on considère l’histoire prestigieuse qui a donné naissance à l’expression et à la mythique Collection blanche chez Gallimard. Il est vrai que Le crépuscule des ronces ne relève pas de la littérature de genre mais bien de la littérature générale. Les territoires explorés sont en priorité ceux de l’âme humaine, des rapports complexes que nous entretenons et si j’évoque des terroirs, si je décris des lieux précis c’est parce qu’ils font écho aux personnages, à leurs bonheurs et à leurs désolations avec lesquels le lecteur peut entrer en résonnance. Je crois aussi qu’une littérature de qualité, quel que soit le genre, c’est celle qui saura dire le monde autrement. D’une manière inouïe, au sens premier du terme. Celle qui, à la manière de Francis Ponge, va chercher le sens dans un au-delà du mot.
Une dernière question Michel Philippo : pourquoi écrivez-vous ?
Sans doute parce qu’une enfance passée dans une librairie m’a, très jeune, exposé au bonheur de lire. Du bonheur de lire au bonheur d’écrire il n’y a qu’un pas. Une fois franchi, il n’y a plus de retour en arrière et il se trouve là, au cœur de l’acte créateur, une pulsion nécessaire qui s’apparente peut-être à l’instinct de survie. À une tentative sans doute illusoire de maîtriser le temps. C’est une constante qui traverse tous mes livres et c’est aussi pour cela, je crois, que l’on n’écrit pas à quinze ans pour les mêmes raisons qu’à cinquante.