Un grand café dans une ville de province. Un homme : Daniel, une femme : Catherine, qui s’y retrouvent après 30 ans durant lesquels ils ont vécu sans nouvelles l’un de l’autre. Amis d’enfance ? Sans doute, mais le mot « amis » ne conviendrait ni à l’un ni à l’autre. Lui, était amoureux d’elle. Pour elle, il n’était qu’un gentil camarade. Elle a quitté la ville, a vécu à Paris, a épousé un homme riche. Veuve, elle revient dans ce pays où lui s’est enraciné, y créant sa petite entreprise, époux d’une femme volage qui l’a quitté lui laissant une fillette sur les bras…
Déjà, dans cette première rencontre, tout semble joué : il ne l’a jamais oubliée, rêve de reconquérir cette femme qui a gardé les charmes de la jeune fille, rehaussés par l’élégance qu’elle a acquise et, aussi, par une sorte de mystère qui enrobe sa vie. Elle ne se souvient pas des souvenirs communs qu’il évoque et c’est avec quelque peine qu’elle reconnaît, par éclair, cet ancien camarade qui la faisait rire sous l’apparence pataude du petit « patron » qu’il est devenu. Tout aurait pu s’arrêter là, si la passion de Daniel –sa persévérance, aussi- ne finissaient par triompher de la volonté de Catherine, minée par une sorte de dépression, de le repousser…Tout recommence : lui l’aime vraiment. Elle l’accepte, parfois agacée par sa lourdeur, parfois touchée par ses attentions, rassurée par sa force. Leur relation, constamment en péril, prend pourtant au fil du temps allure officielle, malgré les réserves de la famille, des amis- « ils ne vont pas ensemble »- grâce peut-être à une entente physique qui surprend Catherine. Surtout parce qu’entre eux un lien inavouable existe qui tient à leur passé.
Histoire banale ? Personnage du quotidien ? Ne pas s’y fier ! A chaque page on tremble pour Catherine, cette fragile « passagère » de sa vie, de celle des autres, tout en se demandant ce que cachent ses airs si « comme il faut ». C’est là tout le talent de l’auteure : nous enfermer dans un suspens psychologique intense en ne nous révélant que des fragments de la vérité de l’un et de l’autre. Jusqu’où peut aller la possessivité de Daniel pour sa fille, pour Catherine ? Ses colères ? Pourquoi, chez Catherine, cette peur du « revenant » ? Ce désir constant de fuite ?
Ce roman refermé, on pense à la phrase connue du philosophe : « Connais-toi toi-même » Rien n’est plus difficile car, comme les héros de Chantal Forêt, nous sommes parfois surpris par nos propres réactions, certaines de nos pulsions. Ne nous est-il jamais arrivé de devenir étranger à nous même ? Alors, comment savoir qui est vraiment « l’autre » si certaines de nos facettes enfouies nous restent inconnues jusqu’au jour où un accident de la vie les fait surgir ?…Oui, comment mieux nous connaître ?
En lisant les romans de Chantal Forêt, surtout ce dernier : « La passagère », car au plaisir qu’on éprouve devant son écriture élégante, se mêle une riche réflexion psychologique qui jette éclairage sur les mondes obscures qui nous gouvernent.
Jeanne Cressanges, romancière