La guerre de l’écrevisse aura-t-elle lieu ?


28Un pêcheur professionnel installé dans le Cher s’est spécialisé dans la pêche de régulation des écrevisses de Louisiane. Il entendait pêcher les écrevisses jusque dans l’Indre. Mais le Parc Naturel Régional Brenne qui dispose d’une brigade anti écrevisses ne l’entend pas de cette oreille. Le PNR déploie des arguments pour interdire la pêche commerciale de l’écrevisse en Brenne et au-delà.

Un débat de fond sur la lutte contre une espèce invasive ou certains voudraient opposer l’action publique et la mise en place d’une filière commerciale.

Le 19 juin dernier, le Petit Berrichon présentait Lou Chabri un pêcheur professionnel du Gard venu s’installer à Saint-Pierre-les-Etieux dans le Cher. Des propriétaires d’étangs de Brenne où la petite bête pullule ont contacté le pêcheur et celui-ci a débarqué au pays des milles étangs avant d’avoir prix contact avec le Parc Naturel Régional. Une vive polémique s’en est suivie. Le Parc Naturel Régional ne souhaite pas que la pêche commerciale de l’écrevisse rouge soit autorisée en Brenne. La réponse à l’article du Petit Berrichon est venue par un article paru dans le quotidien départemental La Nouvelle République, le 8 août, sous la plume de Jean-Michel BONNIN, Jean-Paul Chanteguet, Président du Parc Naturel Régional a affirmé « Les tentatives de valorisation de l’écrevisse de Louisiane ont toutes échoué, aussi bien au niveau de l’équilibre financier que de l’intérêt commercial. S’il y avait des possibilités financières, économiques ou environnementales, des projets solides auraient vu le jour. La mise en place de cette démarche porte atteinte à l’éradication des espèces exotiques envahissantes et nous inquiète. Les actions que nous avons menées jusqu’ici portent leurs fruits : cette mobilisation générale a permis d’enrayer l’extension de l’écrevisse rouge. Si le préfet nous demande notre avis sur le sujet, nous émettrons un avis négatif ».

Le Préfet de l’Indre n’a pas eu le temps de demandé son avis au PNR Brenne que celui -ci l’avait déjà fait connaître à la police de l’eau dans l’Indre, mais également dans le Cher, c’est à dire au service qui instruit les autorisations de transport des écrevisses de Lou Chabri depuis toute la France, jusque Saint-Pierre-les-Etieux. Le dossier est remonté jusque dans les couloirs du Conseil régional du Centre puisqu’une subvention accordée par le Contrat de Pays Berry-Saint-Amandois n’a pas été liquidée par la région ; les techniciens de la région ayant été informés que la préfecture du Cher n’avait pas encore délivré l’autorisation de transporter les écrevisses vivantes.

Nicolas Gauthier a demandé à rencontrer les techniciens du PNR pour leur proposer des partenariats. A l’issue de cette rencontre qui s’est tenue le 10 septembre, le parc a produit un argumentaire visant « au maintien de l’interdiction de commercialisation de l’écrevisse rouge de Louisiane en Brenne ». Ce document vise à confirmer le refus de principe du parc d’une  pêche commerciale, le principal argument étant que celle-ci pourrait inciter certains propriétaires à avoir une gestion patrimoniale du stock d’écrevisses et donc favoriser la dissémination de l’espèce.

 

Nicolas Staulzengerg, chargé de mission au comité national de la pêche en eau douce (association de pêcheurs professionnels) soutient qu’il est possible d’envisager une filière qui participe au prélèvement de l’espèce « ces filières existent déjà sur d’autres espèces telle l’écrevisse Signal. Nicolas Gauthier en a fait son activité depuis 2006 pour l’écrevisse de Louisiane. Le sérieux de ses prélèvements n’est pas à démontrer. Il offre toutes les garanties de confinement qui empêchent les fuites et la diffusion des maladies. Lou Chabri est le premier à s’essayer à la constitution d’une filière sur cette espèce et l’entreprise est viable. Il existe une forte demande d’écrevisses en France et il faut pour l’instant y répondre par de l’importation d’écrevisses chinoises. Les pêcheurs professionnels formulent des propositions sérieuses pour répondre à cette demande avec des écrevisses pêchées en France. Ils savent comment éviter toute gestion patrimoniale du stock d’écrevisses en liberté ; il n’achètent pas les écrevisses, mais un droit de pêche, donc personne n’a intérêt à avoir trop d’écrevisses dans son étang. Les pêcheurs professionnels savent comment empêcher la propagation de l’espèce. Les gestionnaires des espaces naturels qui refusent tout dialogue avec eux ont tort. Des expériences menées dans plusieurs régions démontrent que les gestionnaires et les pêcheurs professionnels peuvent travailler ensemble ».

CM

La fédération de pêche de l’Indre réticente à voir les écrevisses transportées vivantes

21Bruno Barbey, directeur de la fédération de pêche de l’Indre ne veut pas s’opposer par principe à la pêche professionnelle, mais il préfèrerait que les écrevisses soient traitées sur le lieu de pêche

« Nous avons découvert le projet de Lou Chambri en lisant Le Petit Berrichon . Nous ne sommes pas opposés au pêcheur, mais à son projet. Le premier foyer d’écrevisse de Louisiane a été détecté en 2006, sans vouloir polémiquer, son arrivée près de Rosnay n’était pas tout à fait accidentelle. Elle se trouve actuellement dans 109 étangs de Brenne, soit 5%. Il y a trois foyers d’infection dont deux dans les étangs d’un même pisciculteur.

Le parc naturel régional (PNR) lutte actuellement avec une brigade de quatre piégeurs. Là où ils interviennent la densité de l’espèce régresse. Ces piégeurs exterminent chaque année une tonne d’écrevisses exécutés dès leur sortie de l’eau.

Si un pêcheur professionnel intervient ce doit être en harmonie et coordination avec le PNR et sans achat du produit aux pisciculteurs ou propriétaires d’étangs. Or la pisciculture va mal et j’ai déjà entendu : «Si demain on a la possibilité de récupérer de l’argent je mets de l‘écrevisse dans mon étang».

Le projet ne me paraît pas économiquement viable, Lou Chabri fixe son seuil de rentabilité au prélèvement de dix tonnes d’écrevisses en six mois de pêche, soit dix fois plus que ce nous éliminons en pêchant toute l’année. Je veux bien croire que ses nasses avec filets soient plus efficaces mais lorsqu’il aura prélevé deux tonnes ce sera à mon avis un maximum.

Nous sommes prêts à les laisser travailler sous contrôle, à condition que les écrevisses soient tuées au bord de l’étang. Cela pour deux raisons: la particularité de l’écrevisse femelle c’est de garder ses petits entre ses pattes jusqu’à ce qu’ils puissent survivre seuls. Et une femelle pond de 5 à 600 oeufs qui peuvent donner deux cents petits. Une mauvaise manipulation et toutes ces petites bêtes se retrouvent dans la nature. Par ailleurs Lou Chambri est installé dans une zone parcourue par des ruisseaux qui se jettent dans la rivière Allier, riche en écrevisses à pieds blancs. Une contamination à partir des écrevisses stockées dans ses bassins serait une catastrophe écologique. »

Propos recueillis par Pierre BELSŒUR

 

Interdiction de transporter l’écrevisse rouge vivante

27Pour limiter sa dissémination, le transport de l’écrevisse de Louisiane vivante est formellement interdit. Procambarus clarkii (c’est son nom scientifique) doit être tuée avant le transport. Il suffit de lui tordre la nageoire du milieu de la queue (le telson) et de tirer dessus ce qui a pour effet d’enlever les intestins. Cette opération s’appelle « châtrer » l’écrevisse.
Seul un pêcheur professionnel peut la transporter vivante et seulement s’il dispose d’une autorisation préfectorale.