Sempiternelle complainte. Il est vrai que nous, les journalistes, y courons à chaque fois et puis, nous sommes habitués au traitement coutumier mais bon quand même. Ce n’est pas la première fois que nous l’écrivons et ce ne sera sans doute pas non plus la dernière, mais force est de déplorer que jeudi 28 novembre, à Vendôme, dans le cadre de son tour de France des solutions, Edouard Philippe n’était pas venu parler avec la province, bien accompagné par sa cour de journalistes parisiens.
« Panem et circenses » dans le Vendômois. Nouvelle belle opération de com’ gouvernementale, bravo. Voilà comment pourrait être résumé notre périple jusqu’au lycée Ampère de Vendôme jeudi 28 novembre (ouvert par un bal de ministres accueillis sous la pluie et le vent, conclu par une averse glaciale, sous l’oeil d’un tracteur New Holland, un signe?). On aurait presque pu demander au député LR Guillaume Peltier qui, cet automne dans les librairies, se présente comme porte-parole des milieux de cordée, de se joindre à nous qui ne sommes visiblement pas nés du bon côté de la barrière. Petit retour sur l’ambiance sur place : nous arrivons rue Ampère, conscients des coups de coude ou de caméras que nous risquons de prendre une fois dans la cohue médiatique, conscients de notre soumission de bonne volonté blasée au jeu des pools, c’est-à-dire à ce système qui veut que selon la couleur du badge, les médias nationaux (ou quotidiens locaux) sont autorisés partout sur toute la visite d’Etat, tandis que les autres doivent accepter leur sort entravé. C’est ainsi et ce n’est pas nouveau – sous Chirac, cela s’opérait déjà et aussi, nous l’avons vécu nous-mêmes lors de visites présidentielles, sous Sarkozy, Hollande et tutti quanti – mais ce qui est actuellement inédit, c’est l’insidiosité de l’Elysée Jupitérienne. Nous sommes toujours accrédités (et heureusement, il ne manquerait plus que ça!) mais sur le déroulé d’invitations, toujours du rouge en signe d’exclusion des non poolés. Encore une fois, nous acceptons le jeu, c’est comme ça ; contents d’être du déplacement ministériel, nous y allons pour être sur le terrain chercher l’information et pouvoir constater par nous-mêmes. Néanmoins, nous ne sommes ni des moutons de communication ni des plumes muselées et acquises au fait du prince. Sur notre badge, nous sommes distingués par un bleu amoindri, et non l’autre coloris, le rouge « open bar ». D’ailleurs, et c’est moins récurrent, lors du passage classique aussi du chien pour le déminage, deux allées de sacs de journalistes séparés jeudi 28 novembre. Rouge prem’s puis bleu de seconde zone. Des détails mais la suite fut incroyablement formidable : moins de dix journalistes de la presse locale contraints de se contenter d’observer derrière une porte vitrée des interviews du Premier ministre par le pool national ainsi que des explications données par élèves et enseignants sur la filière « nouvelles motorisations » du lycée sous le feu des projecteurs. Trente minutes d’attente ubuesque avec des cris de joie… de lycéens vendômois en attente de selfies souvenirs. En gros, on peut le reconnaître, nous nous sommes pris la porte dans le nez ! Mieux vaut en rire… C’est certes ce qui était prévu, nous étions exclus de ce moment par avance mais souvent, nous sommes installés dans une salle avec un café, histoire de cacher ce que les journalistes d’en bas n’ont pas le droit de voir du Gouvernement d’en haut. Là, nous étions tels des animaux de zoo regardant les illustres visiteurs depuis notre modeste cage vitrée ! Par conséquent, nous n’avons aucune matière pour écrire une seule ligne sur cette filière professionnelle vendômoise. Ah, si, pardon, c’est vrai, nous avons un beau dossier de presse de 35 pages où nous pouvons copier-coller les informations sur ce point et nous citons : « ce pôle de formation s’est construit sous l’impulsion de l’État… » Tout est dit, écrit même.
Avec ou sans humour
Ensuite, car il y a une suite, nous avons été libérés puis tolérés à la séquence avec six porteurs de projets estampillés « la France des solutions, la mobilisation territoriale pour l’emploi et la transition écologique » parce que, encore selon le dossier de presse, « le président de la République a fait de la lutte contre les inégalités territoriales et du sentiment d’assignation à résidence les priorités de son quinquennat afin de donner les mêmes chances à tous les Français ». Hum. Et à tous les journalistes ? Une séquence sous forme de talk show où Édouard Philippe est reparti avec de la soupe, un t-shirt lycée Ampère et un agenda de l’emploi des plus de 45 ans, pendant que la secrétaire d’Etat Emmanuel Wargon jouait à passer les plats micro en main, sous le regard bienveillant des autres ministres du voyage, Jacqueline Gourault, Marc Fesneau et Christelle Dubos (Muriel Pénicaud, excusée après une chute dans l’escalier de Matignon). Et donc, nous avons pu écouter, nous pourrions dans notre journal local qui traite du Loir-et-Cher exposer les initiatives portées localement (en termes d’emploi, d’environnement, etc. En soi audacieuses et intéressantes)… de la Normandie, de la Charente, du Maine-et-Loire, de l’Auvergne, de l’Ile-de-France et de la Provence-Alpes-Côte d’Azur. Bien que nous aimons particulièrement cette dernière région, c’est loin, très loin de Vendôme… Une ville d’ailleurs absente de cette fameuse deuxième séquence, et étant donné pour rappel que nous étions journalistes non grata lors du premier échange précédant concernant le local, voilà voilà, vous voyez le hic. Pour re-récapituler, le Gouvernement Macron a mené au lycée Ampère une belle opération séduction pour crier haut et fort, devant moult témoins, son amour pour la province, à l’approche de quelques joyeuses « petites » grèves en perspective. Circulez, y avait rien de plus à voir. « Ce n’est pas le plus spectaculaire qui est le plus efficace dans une société où nous vivons avec plein de caméras partout. De toute façon, vous ne passerez pas au JT de 20h ! On passe le message s’il y a des journalistes dans la salle ?» aura lancé le Premier Ministre aux porteurs de projet réunis. Re-hum. Justement si nous étions bien là, au fond, en bas; quant au « spectaculaire », l’effet miroir d’en haut ? Dommage, le sujet vendômois (et même plus largement, ailleurs, dans l’Hexagone) n’était pas inintéressant et en sus, Édouard Philippe a vraiment beaucoup d’humour, en vrai. Nous en avons également mais hélas pas pour tout, surtout quand il s’agit d’être empêchés de faire tranquillement notre travail qui plus est, sur nos terres. Nous crions haut et fort à notre tour notre amour de message depuis notre condition de journaliste d’en bas, et, qui sait, il atteindra peut-être les sommets.
Émilie Rencien