Un souffle, un chuchotement, un cri à voix basse. Ce livre se lit comme on respire avec un baillon, haletant. Style incisif , phrases courtes, percutantes, entre rires et pleurs, sidération et émerveillement, embarquement pour la confidence. Impossible de lâcher la lecture avant d’avoir avalé le dernier mot. Qui aurait l’idée de dire à une amie qui raconte son essentielle histoire de vie, attends je reviens, on continuera tout à l’heure ? Que faire d’autre que de prendre le récit de plein fouet, de souffrir avec l’auteur ? Camille Kouchner réussit à nous concerner même si elle parle de vrais gens qui pour nous sont des vedettes de la télévision que nous avons un jour peut-être admirées. Et voilà que le lecteur se félicite de n’avoir pas rencontré ce monde où l’enfant est contraint à « Choisir ses mots comme des armes de combat ». « Une gauche caviar » adoptant par piston des enfants confiés aux gouvernantes, un monde où les adultes prennent apparemment la mort de leurs proches à la légère. « –Que s’est-il passé ? Il s’est tué. Au pistolet. Comme un con. Tout est dit, rien n’est expliqué. » Camille K . nous parle avec le ton juste du lien fort entre deux jumeaux. Tout ce qui arrive à Victor, elle le vit elle aussi. La force du lien de sang. Victor abusé. Un beau-père pervers évoluant dans les sphères du pouvoir. Et la peur qui rôde et empêche l’auteur de respirer : « J’anticipe, j’analyse. Je préviens. J’ai peur. Un pressentiment irrémédiable. Et ma raison n’y fait rien. Des peurs irrationnelles. Le cœur qui bat au moindre bruit. A l’insupportable sonnerie du téléphone. La peur de la voiture, la peur de l’avion. L’impossibilité de respirer vingt fois dans la journée… La peur de tout, tout le temps. La familia Grande est un livre porté pendant 30 ans, écrit sans complaisance et le lecteur bouleversé lui aussi est là pour tenir le bébé. Lorsqu’on arrive au terme de ce récit , au ton vrai, Camille Kouchner appartient un peu à notre famille, on a envie de la connaître et de la consoler. Elle a su écrire un livre nécessaire qui ouvrira la porte et les fenêtres aux adultes et enfants abusés enfermés dans un silence ravageur.
Marieke Aucante
