Il était une fois une pauvre souillon, piétinée continuellement et méprisée de tous, qui se rêvait princesse, évoluant dans les plus beaux palais où elle côtoierait la beauté, l’art et la bonne société. Un jour, grâce à un noble artisan elle fut transformée, embellie, et le rêve devint réalité… Le rapport avec le sujet ? Si je vous dis que la princesse se nomme Argile ? L’argile, cette terre glaise qui colle aux bottes, salit nos carrelages par temps de pluie, et qui devient elle-même carreau, parement, matériau noble utilisé pour la rénovation des plus grands monuments historiques ! C’est tout l’art de la tuilerie de la Bretèche que de procéder à cette magique transformation…
Un savoir-faire exercé dans le culte du partenariat
Des tuiles, en réalité la « tuilerie » n’en fabrique plus guère. Aujourd’hui, la production s’équilibre principalement pour moitié entre le carrelage et la brique. Et encore ne s’agit-il que de brique de parement, puisqu’il y a belle lurette que l’on ne construit plus de maison intégralement avec ce matériau en Sologne. Notre région représente encore 35 à 40% des débouchés de la Bretèche, clientèle composée à la fois de particuliers et de monuments historiques. Mais, en partie grâce au faible nombre d’entreprises du même type en France, la tuilerie solognote a pu élargir ses horizons géographiques. Sur ces différents chantiers, l’entreprise de Ligny-le-Ribault intervient comme partenaire au service d’une restauration de caractère. « Notre métier, c’est d’être restaurateurs du patrimoine ; nous sommes des apporteurs d’idées et de solutions » confie le maître des lieux, Aymeric de Baudus. Il peut s’agir d’intervenir dans la résidence secondaire d’un grand capitaine de l’industrie ou de la finance française, de la réfection du carrelage de l’église locale, jusqu’au petit manoir breton. En la matière, la Bretèche donne autant dans le prêt-à-porter que dans la haute couture, puisque le catalogue de la maison couvre une large part des besoins existants et qu’en prime, la tuilerie s’est spécialisée dans le sur-mesure. C’est alors que peuvent s’exprimer pleinement l’esprit et l’étendue du savoir-faire solognot.
« Lorsque l’on fait appel à nous, je prends ma petite auto pour me rendre sur le chantier afin de prendre l’ambiance générale », explique Aymeric de Baudus. « La création d’un carreau unique prend en moyenne cinq mois », ajoute-t-il : « Après la définition du besoin, on établit un échantillon de couleur, un échantillon de format, puis l’on passe à la fabrication des moules, faite ici même ou que nous faisons faire ; le produit façonné, il faut compter environ un mois de séchage, avant l’étape ultime : la cuisson ». Le produit fini, le carrelage est confié aux mains expertes des gens de métier, car si la tuilerie conseille éventuellement les carreleurs, elle n’intervient jamais directement dans la pose. Ce sont d’ailleurs le plus souvent les artisans du bâtiment qui font appel à l’équipe d’Aymeric de Baudus, après avoir conseillé à leurs clients de se fournir en produits estampillés La Bretèche. Parmi ces professionnels se trouvent les noms d’entreprises bien connues pour leur savoir-faire, comme la maison Foucher-Fournier à Dhuizon, RPL Lagarde à Ormes, Vernéjols à Mer, ou encore Soupiron à Mur-de-Sologne.
Une large palette de couleurs
Des tuileries, briqueteries, il en existe ! Ce qui différencie La Bretèche de ses concurrentes, ce qui fait son avantage concurrentiel, tient au mode unique de cuisson : « Ici, l’exception c’est la cuisson au bois, qui a tout pour elle », plaide son dirigeant. Seules, deux autres tuileries en France ont gardé cette cuisson cent pour cent bois. Ce procédé ancestral est le seul à garantir un flammage naturel du produit. Le bois « n’éteint » pas les couleurs car il ne provoque pas de dégagement de soufre. Le four engloutit ainsi chaque jour dix à douze stères de bois en provenance des scieries toutes proches de Jouy-le-Potier et Mézières-lez-Cléry, exclusivement du pin : « C’est l’essence qui donne la meilleure cuisson, car la flamelle est plus large à la combustion, explique Aymeric de Baudus, « Surtout, le pin ne contient pas de tanin, qui fait des tâches à la cuisson ».
Si le séchage est essentiel – pendant trois à quatre semaines les produits, fraîchement moulés, doivent perdre leur eau – l’étape suivante, la cuisson, est surveillée avec attention de façon à obtenir la couleur voulue. En la matière, Aymeric de Baudus n’est pas peu fier de son savoir-faire : « Nous sommes capables de dupliquer toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Il faut être précis : sur la seule couleur rouge, par exemple, il existe en réalité de nombreuses nuances ». L’argile de Sologne, mélangée avec d’autres argiles, permet ces nuances de couleurs, le reste se jouant à la cuisson en fonction du taux d’oxygène. La température standard du four s’établit à 1050 degrés, et il existe un moyen infaillible de la contrôler. Le thermomètre ? Il y a bien longtemps que personne ne s’en soucie plus. En réalité, le contrôle de la cuisson s’opère… à l’œil ! La couleur du feu est un indicateur sans faille : « D’abord jaune, bleu, puis rouge cerise en fin de cuisson », explique-t-on sur place. C’est ainsi, La Bretèche est équipée d’appareils électroniques capables d’effectuer tous les contrôles, mais on ne s’en sert pas. Cela se nomme le savoir-faire, en vérité. De surcroît, le meilleur attirail du monde n’évitera jamais les surprises en sortie de four, tant d’autres facteurs sont susceptibles d’influer sur la cuisson, par exemple la météo. « La surprise fait partie du métier », lance Aymeric de Baudus. Cela n’est pas un problème pour des artisans qui, aussi pointus soient-ils, ne cherchent pas le conformisme à tout prix, mais bien l’authenticité.
Une aventure locale
Cette aventure cent pour cent solognote est donc une réussite qui s’inscrit dans la durée. Les sept employés, recrutés sur place, entretiennent un savoir-faire transmis de génération en génération. David, la plus jeune recrue, va entamer sa quatrième année de présence, tandis que le doyen de la maison, Jean Fontaine, officie depuis 36 ans. Ici, tout s’apprend sur le tas et c’est cette transmission du savoir qui s’avère précieuse pour perpétuer la qualité. Peuvent-ils être fiers, ces ouvriers, ces artisans, ces maîtres du feu et de la terre, d’expédier leur travail dans tout l’hexagone, pour parer demeures anciennes, maisons de maître, joyaux du patrimoine français ! Et faut-il que la maison ait le triomphe modeste pour ne pas s’en glorifier davantage auprès du grand public. Songez à ces millions de visiteurs s’extasiant devant la grandeur de Chambord, imprégnés des fastes de la Cour, impressionnés par le génie de Léonard de Vinci, sans se douter, hordes de touristes pressés, que le carrelage royal qu’ils foulent provient de la plus roturière argile solognote… Un beau conte de fées dans le plus bel écrin qui soit.
David ALFROY