J’étais tranquille, j’étais peinard, accoudé au comptoir de mon propre bar. Parce qu’il faut le dire ici, je possède mon propre bar. Pas un grand avec une salle ouverte au public mais un petit, personnel, avec une table et deux tabourets. Un où on peut encore mettre les pieds sur le barreau du bas sans se faire engueuler … Aucune péroraison en cela juste une litote afin de pérenniser ce lieu qui, à l’instar de la société moderne, périclite au fil des interdictions et des précautions sanitaires que nos gouvernants, les uns après les autres, nous infligent ou nous ordonnent.
J’étais tranquille, j’étais peinard, donc. Un œil sur une télé, une main accrochée à un stylo, l’autre à une boisson énergétique issue de la culture biologique. Le houblon, c’est biologique, non ? Et sa fermentation aussi, non ? A l’heure proche du bouclage, le billet d’humeur ne venait pas. Aucune fulgurance, aucune idée négative. Positive non plus. Un moment si proche du néant que l’on apprécie d’entendre Jean-Pierre Pernault annoncer le dernier reportage sur la fabrication des Santons en Haute Provence ou des espadrilles du coté des pentes pyrénéennes, là où l’on fait sécher le piment d’Espelette qui, comme son nom ne l’indique pas peut être aussi bien cultivé à Cambo qu’à Saint-Pée sur Nivelle. Rien, pas même une envie de bashing présidentiel. François 4, toujours normal, toujours pluvieux même en période sèche, se suffit à lui-même désormais. Même pas une connerie Nicolaesque à se mettre sous la dent. Les dernières péripéties de l’affaire Bygmalion sont tellement puériles qu’on en devient impassible. Aucune manifestation d’Air France en vue. Pourtant le bénéfice reversé aux actionnaires, dont l’État à hauteur de 17%, rien que pour cette année, pourrait laisser ailleurs que sur le carreau d’une chemise à fleurs les plus de 2000 chômeurs potentiels envisagés pour les mois à venir. Un moment, Myriam El Khomri, la trop jeune ministre du travail pour savoir ce que pointer aux lueurs blafardes d’un jour qui se lève tôt, en général, veut dire, aurait pu être un cheval de bataille d’une humeur massacrante en devenir. Et puis voilà, on ne tire pas sur une ambulance. Encore moins quand la conductrice a été envoyée au casse-pipe par des anciens tout heureux de la voir se faire dégommer, par ses ennemis, et par ses amis itou. La pauvre m’a fait penser à ces étudiants qui passent à l’oral et qui se plantent comme jamais. Non pas qu’ils ne savent pas la bonne réponse, plutôt que d’un coup d’un seul, tout ce qui a été appris par coeur ne vient plus. Ce n’est pas Alzheimer mais ça lui ressemble tant.
L’inquisiteur est là, Jean-Jacques Bourdin questionne, pousse à la faute et le tableau est de plus en plus noir. Un voile se forme … la ministre ne l’est plus dès 9 heures du matin sur RMC. Facebook, Instagram, Twitter, la faune des maniaco-dépressifs du portable et du smartphone est aphone mais se lâche à l’aide seulement de ses deux pouces. Pas capable d’écrire trois mots sans faire une fôte mais on peut se faire un ministre en gardant au chaud ses huit autres doigts …
Et voilà que je tombe sur Bernard Pivot, sur une chaîne du service public. L’heure était tardive. Dommage ! Pourtant, les moins de trente ans auraient pu découvrir de petites merveilles de la vie d’avant. Celle des années Apostrophes. Celles de l’histoire de 2 bouteilles de Sancerre, supplice de tantale pour un Bukowski auquel il ne fallait pas en promettre plus ! L’histoire aussi de Soljenistsyne, sorti d’une petite dizaine d’années de goulag, prix Nobel de littérature, de retour en Russie, en 1989. Les temps ont bien changé. On ne peut plus picoler à la télé. Le direct est devenu un Live monté dans l’arrière-boutique. Pour éviter les débordements, par la Droite ou par la Gauche. On ne garde que les moments que l’on décide de programmer, les bons mots choisis. On fictione à défaut d’avoir scénarisé au préalable. A la télé, on ne peut plus fumer non plus. Une cigarette, rien que du tabac normal dedans, est aussi prohibée qu’un pétard. Lucky Luke a désormais un brin d’herbe et Maigret se pose des patches. Simenon vient de se retourner dans sa tombe ! Du coup, comme au début du siècle d’avant, on fabrique des Al Capone de pacotilles en provenance des banlieues ou de quartiers abandonnés. Si l’on en croit les dernières tentatives pour nous faire devenir végétarien, la viande c’est pas bon non plus pour ce qu’on a ou croit avoir. La charcuterie c’est nocif aussi. Des professions en perdition, des petits commerçants de surcroît, que ces prédicateurs de bonne santé publique vouent à la vindicte populaire. En plus, à la fin de notre vie, on finit par en mourir. Inéluctable, et ça dure depuis des milliers d’années, paraît-il. Ne pensez même pas à manger du poisson. Comme disait Renaud, le chanteur pas le constructeur automobile, la mer c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans … Oubliez huîtres, crustacés, même si les agapes festives et familiales qui vont de paires avec les fêtes de fin d’année approchent. Oubliez les poissons, blanc, rouge ou bleu, parce que mer ou rivière, la procréation s’avère édifiante …. Oubliez de manger tout simplement. Devenez Samaritain de la parole médicale. Partagez votre savoir à défaut de savoir partager. Ainsi soit-il !
J’étais tranquille, j’étais peinard, et les Sex Pistols entonnent Good save The Queen. No Future beugle Sid Vicious encore et toujours. Bon sang, j’ai dû malencontreusement changer de chaîne…
Fabrice Simœs