Quand Jean-Paul Marat, celui qui aurait préféré rencontrer Charlotte Corday à la sortie d’une boulangerie plutôt que dans sa baignoire, écrivait ses pamphlets dans L’ami du Peuple, le faisait-il à titre de médecin ou de journaliste ? Si c’est le médecin, on se demande bien pourquoi. Si c’est le journaliste, l’argumentaire est loin d’être objectif.
Quand Jean-Paul Sartre, prix Nobel de littérature, devient envoyé spécial aux États-Unis pour Le Figaro est-ce le philosophe ou le journaliste ? Si c’est l’écrivain, la langue française ne pouvait pas trouver meilleur défenseur ;si c’est le journaliste, l’argumentaire est loin d’être objectif. Quand Ernest Hemingway – pas trouvé de Jean-Paul dans la famille Hemingway – raconte la guerre d’Espagne, ou bosse pour le Kansas City Star, est-ce le romancier ou le journaliste qui noircit les feuilles ? Pour chacun, pour d’autres aussi, on peut se poser la question de l’objectivité tant réclamée par les consommateurs compulsifs et non objectifs de l’information, qu’elle soit écrite, radiophonique ou télévisuelle. Et, à chaque fois, on se doit de répondre que l’objectivité n’est pas, n’a jamais été, ne sera pas et ne doit pas devenir un critère du métier de journaliste.
Le devoir d’un journaliste, bon ou pas, passe par le respect des lecteurs, le respect de la vie privée – les magazines people en sont le parfait contre-exemple, mais ont-ils vraiment des journalistes dans leurs rédactions ?- le respect de ses sources, ainsi que le respect de la libre expression et de la critique comme le précisent certaines chartes professionnelles. On apprend ça sur les bancs des écoles ou auprès des anciens du reportage et du monde de l’info. On se forge sa vision du métier et de ce qu’on peut dire, écrire, filmer, ou pas. On ne l’apprend pas obligatoirement avec des communicants, cette autre race « d’informateurs » inféodés. Cependant, où est l’objectivité dans tout ça ?
Elle existe au détour d’un fait divers. Elle existe à la présentation de faits simples … mais au-delà, elle n’est rapidement plus de mise, sinon tous les quotidiens seraient remplis de copier-coller de messages de l’AFP. C’est ce qui se passe peu à peu cependant et, sans âme, les journaux ne sont plus que des écrans en papier pour nostalgiques de grand formats et de l’imprimerie. À une époque pas si lointaine, en des pays pas si lointains, le simple fait de parler d’un sujet pouvait déjà être considéré comme subjectif. Ce n’est pas comme si cela se passait maintenant, par exemple en Chine, en Corée du Nord ou en Iran. La censure d’État existe toujours cependant ou tente encore d’exister à la manière des convocations à la mode de Not’Manu. Que huit journalistes aient été invités à rendre des comptes par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour avoir écrit ou informé sur des affaires publiques, démontre bien que si les mots ne sont pas toujours utilisés, la forme et le fond sont toujours là. Emmanuel est petit joueur dans le domaine. Loin du niveau de Vlado ou Recep assurément mais, à sa décharge, il débute dans le métier !
Une nouvelle forme de censure s’est aussi mise en place, celle de l’objectivité unitaire exprimée à partir d’un clavier d’ordinateur. Celle que chaque individu considère comme telle pour son voisin. Pourtant, il faut que tout à chacun comprenne qu’un article sur le fonctionnement politique d’un État, quel qu’il soit, ne sera jamais objectif. Quelle quelle soit, une idée émise est une prise de position… Quand on lit Le Monde ou Le Figaro, on recherche les idées du Monde ou du Figaro. Quand on lit l’Humanité, on recherche les idées de l’Humanité. On peut être d’accord. On peut tout autant être en désaccord. Quand on lit les modernes Nous Deux de nos grand-parents que sont Closer, Voici, Voilà et tutti quanti, on ne cherche rien …
Le journaliste est, à son modeste niveau, un lanceur d’alerte, un informateur au sens noble du terme. Les lettres de noblesse de la profession n’ont rien d’anonymes et ne sont pas envoyées à la Kommendatur. Ce ne devrait jamais être le genre de la maison. Une position, une idée, un écrit, cela s’assume. Dans un monde où la déresponsabilisation est élévé au rang de mode de vie, un nom en bas du parchemin ne donne pas tous les droits et implique pas mal de devoir, mais constitue aussi le reflet d’une vérité. Pas forcément celle que l’on voudrait voir ou entendre.