Être journaliste, c’est la plupart du temps traiter de sujet qu’on ne connaît pas. Reproduire l’avis des différentes parties et ne pas arbitrer si le journaliste n’est pas expert dans la matière qu’il rapporte. Les prises de position sur des sujets techniques sont rares. Il peut pourtant nous arriver de tomber sur des dossiers techniques qu’on connaît. Une passion pour les écrevisses lorsque j’étais gamin, une observation de l’écrevisse rouge jusque dans les Everglades en Floride… et on n’a pas pu me faire avaler n’importe quoi sur l’écrevisse de Louisiane.
Cette écrevisse est un fléau qui va détruire nos milieux humides. Crustacé d’une dizaine de centimètres originaire du sud des Etats-Unis, Procambarus Clarkii a débarqué en France dans les années 1980. Depuis 2010, sa progression inquiète. L’écrevisse de Louisiane s’installe dans nos eaux stagnantes ou à courant lent. Elle dégrade le sol en creusant des terriers profonds, ce qui provoque la déstabilisation des berges. A Noyers-sur-Cher (41) en 2011, la superposition de dizaines de terriers a entrainé la création d’une poche d’eau qui a conduit à l’effondrement de dix mètres de berges du canal de Berry. Cette écrevisse exerce une forte prédation sur les insectes, les batraciens, les alevins, mais aussi les mollusques, ce qui entraîne l’augmentation des algues. N’en doutez pas un seul instant, il faut tout faire pour limiter sa progression.
L’ONEMA (Ex conseil Supérieur de la Pêche) déploie des efforts importants pour comprendre la biologie de l’espèce et tenter de limiter sa progression. On a parlé de pesticides, mais les dommages collatéraux restent mal évalués. On a expérimenté le contrôle biologique par le biais de la prédation (brochet). En l’absence de ses prédateurs naturels que sont le raton laveur et l’alligator, le piégeage est la seule solution. En Brenne, le PNR a constitué une brigade de piégeage composée de 4 techniciens qui ont réussi à la contenir.
En juin 2013, ONEMA a organisé un colloque sur les écrevisses invasives. Il est ressorti de cette rencontre un document remarquable publié en octobre 2013 « Les invasions d’écrevisses exotiques ». Ce document expertise scientifiquement toutes les pistes de régulation de façon approfondie. Toutes… sauf une : les pays plus infestés que la France sont arrivés à la conclusion que seul le piégeage humain est efficace. En France les pêcheurs professionnels ont proposé leurs filets. Sur 76 pages, le document d’ONEMA en consacre une seule à la régulation par la pêche professionnelle et écarte cette solution sans le moindre argument scientifique, on écarte cette solution politiquement « cette position a cependant été accueillie avec réserves par de nombreux participants lors du séminaire ». On n’a pas besoin de le justifier scientifiquement : c’est une doctrine. Pourquoi ? Parce que écologie et économie sont incompatibles en France. Mais surtout, si le piégeage est la seule solution, autofinancer le piégeage par les ressources qu’en retire le piégeur ne fera pas les affaires de tout le monde… Si l’on exploite pas la ressource, seules les subventions ou les emplois publics pourront financer cette pêche de destruction. Et qui pilotera les subventions et les emplois publics ? et bien ONEMA et les associations qui participaient au séminaire …
Dans le Cher, la police de l’eau est incarnée par les techniciens locaux d’ONEMA, nos gardes pêche et par des techniciens de la DDT (ex DDA) qui instruisent les dossiers de déclaration et d’autorisation pour ce qui touche aux milieux humides. Disons le sans détours, ils forment un réseau d’acteurs compétents et efficaces. Ils connaissent leurs cours d’eau. Ils sont impliqués auprès des sociétés de pêche dont ils aident parfois les présidents à tenir les AG, ils sont appréciés des associations de protection du milieu qu’ils aident à monter leur dossiers. Ces fonctionnaires participent activement à la protection des milieux humides. Mais ils appliquent les politiques qui viennent d’en haut, qu’elles soient clairement affichées par le ministre de l’environnement… ou qu’il s’agisse d’une orientation préconisée par la direction d’ONEMA.
Un ancien informaticien, un peu écolo attiré par le retour à la nature avait décidé de devenir pêcheur professionnel. Installé dans le sud, il a été confronté à l’invasion de cette écrevisse rouge. Il traque l’espèce et développe des techniques de pêche pour la nettoyer sur certains secteurs. Pourtant elle revient toujours… Il décide alors de l’exploiter comme ressource et démontre qu’une activité de pêche de cette écrevisse est viable. Il existe en effet en France une forte demande des consommateurs, notamment dans la restauration gastronomique. Le marché y répond par des importations massives d’écrevisses rouges de Chine ou d’Espagne. Plutôt que d’importer, autant consommer français. Il est vite appelé en Loire-Atlantique, dans les Charentes et aux quatre coins du pays. Pour réduire les distances, il a dans l’idée de s’installer dans le centre de la France et c’est à Saint-Pierre-les-Etieux qu’il pose ses valises.
Au début tout se passe bien avec les techniciens de la police de l’eau. Il prépare aussi l’agrément de son laboratoire avec la DSV. Une écrevisse, ça se prépare vivante, il faut les amener sur place. L’écrevisse de Louisiane est réglementée, son transport vivante est soumis à une autorisation préalable, délivrée par la préfecture de la destination et instruite par la DDT. Pour mettre le laboratoire en situation et avoir l’agrément il faudrait des écrevisses. Mais l’arrêté autorisant le transport est long, plus long que cela ne l’était dans le sud. Ce pêcheur, qui s’appelle Nicolas Gauthier, décide de forcer un peu la main à l’administration. Il annonce qu’il va déplacer des écrevisses sous un régime déclaratif. Il écrit à la DDT et annonce son parcours et les heures du déplacement. C’est à partir de là qu’il a compris qu’il n’était pas le bienvenu dans le Cher ; quelques jours plus tard, il a la visite chez lui les garde-chasses de l’ONCFS. Quelqu’un les avait prévenus…Bizarre que ce ne soient pas les garde-pêches, on a peut-être voulu faire croire au hasard ou aller chercher une caution morale ? Les garde-chasses avaient révisé leurs notes sur l’espèce et les textes, mais ils n’étaient « pas à l’aise » aux dires même d’un technicien du Comité National des Pêches qui accompagnait Nicolas Gauthier par précaution. Tellement pas à l’aise qu’ils ont préféré appeler le procureur avant d’écrire quoique ce soit. Celui-ci leur a dit de dresser un rapport de constatation. Puis pendant longtemps, Nicolas Gauthier n’en a plus entendu parlé.
Lui n’en entendait pas parler, mais par contre le rapport des garde-chasses a été abondamment diffusé dans son dos : la fédération de pêche a été informée, lorsque le député se renseigne pour savoir pourquoi l’autorisation traine, on lui montre le rapport des garde-chasses. Lorsque la chambre d’agriculture décerne un prix à Nicolas Gauthier, le directeur de la DDT s’empresse d’alléguer au directeur de la chambre que son activité serait « illégale » !!! Celui qui ne connaît pas le dossier pourrait presque prendre ce garçon pour un délinquant !
Pendant que Nicolas Gauthier attend son arrêté d’autorisation de transporter les écrevisses, les élus écologistes font leur lobbying au conseil régional du centre pour bloquer les subventions que le contrat de pays lui a accordées au motif … « qu’il n’a pas obtenu son arrêté de transporter ». Dans le même temps, le PNR Brenne diffuse à un public ciblé un argumentaire contre la pêche commerciale qui va presque jusqu’à déclarer l’écrevisse rouge comme impropre à la consommation !!! Mais le PNR mettra beaucoup d’eau dans son vin lorsqu’il aura rencontré le pêcheur. L’association nature 18 adresse des courriers au Président du conseil général pour avoir soutenu le pêcheur, cette même association refusera de répondre à l’invitation de Nicolas Gauthier de visiter ses installations mais formulera un avis contre l’autorisation de transport. Il en sera de même de la fédération de pêche, qui -elle au moins- au moins finira par le rencontrer.
Le lobby écologiste est en marche. Il a souvent des vertus, là il n’en a pas !
L’arrêté arrive au mois de décembre, juste avant le départ de l’ancien préfet. Il est négatif. Il est assez étonnant dans sa construction puisqu’à aucun moment le pêcheur n’est regardé comme un outil pour lutter contre la prolifération de l’espèce, mais comme un risque. C’est tout juste si ce n’est pas lui qui introduirait les écrevisses ! Plus inquiétant, cette espèce ne serait pas présente dans le Cher ; la colonie des marais de Bourges est presque inconnue de l’administration, celle du bief de la gendarmerie sur le canal de Berry à Vierzon l’est encore moins. Idem des petits groupes qui ont été observés en Sologne.
Le sous-préfet de Saint-Amand a dit à Nicolas Gauthier « Vous êtes comme les loups du Mercantour, vous criez au loup, mais il n’y a pas de loup »… Le vrai loup, Monsieur le sous-préfet, c’est que l’on est arrivé à faire croire au corps préfectoral que l’espèce est absente du département ! Demandez-donc aux associations des marais de Bourges. Certes vos techniciens vous répondront que tout est une question de relativité, ces colonies sont encore récentes, mais c’est justement maintenant qu’il aurait fallu agir ; encore un été et il sera trop tard. Plutôt que de refuser ce pêcheur, la bonne intelligence aurait été de le faire prélever chez nous.
Comme nous sommes dans un état de droit, Nicolas Gauthier a entendu contester jusque devant le tribunal administratif le refus qui lui était opposé. Comme il s’estimait victime d’une injustice, il a téléphoné à Julien Courbet sur RTL. Cela n’a pas plu ! On lui a fait des tracasseries sur son permis de construire. Et coup fatal s’il en est, le rapport des garde-chasses a fini par ressortir. Au début le procureur qui décide de l’opportunité des poursuites n’avait même pas envisagé de rappel à la loi… mais là c’est carrément une « mesure de composition pénale » qu’il envisage. Ça se passe au tribunal de Saint-Amand, le jour où sort ce journal (21 mai). Quelqu’un aura rappelé le dossier au procureur.
N’insistez pas monsieur Gauthier ; nul doute que le juge prononcera une sanction puisque vous n’avez pas respecté les textes. Même si l’étau que vous proposait l’administration ne vous laissait guère le choix, même si le juge ne prononce qu’une sanction symbolique… cette sanction sera marquée sur vous au fer rouge et elle va servir à tous ceux qui ne veulent pas vous voir exercer votre métier. Ils ont gagné ! Vous avez démontré que si la pêche professionnelle peut équilibrer une activité en détruisant une espèce invasive, les blocages ne sont pas économiques mais administratifs… enfin plutôt idéologiques !
Pour le reste, vous êtes tombé au mauvais endroit. Le Cher n’est résolument pas une terre d’accueil pour les entreprises. Il vous faut soit partir très loin, soit rester, mais recentrer vos activités vers le poisson et en gérant au mieux les inimitiés que vous vous êtes fabriquées avec les garde-pêches et la DDT…
Pour l’écrevisse rouge, dans le Cher, l’histoire va continuer. Bientôt l’administration va la découvrir ! Dans 3 ou 4 ans, peut être plus, des berges du canal vont s’effondrer, comme cela est arrivé dans le Loir-et-Cher. Des préfets et sous-préfets auront passés d’ici là. On ne se souviendra même plus qu’en 2013 l’écrevisse était invisible dans le Cher. Il faudra monter des actions de piégeage. Les associations du type de celles qui ont émis des avis défavorables au pêcheur professionnel monteront des dossiers de subventions, elles salarieront des emplois aidés pour faire du piégeage. Les collectivités mettront la main à la pâte… Cela coutera de l’argent au contribuable et il sera bien tard, trop tard pour lutter efficacement !
On détruira les écrevisses pêchées et on continuera à en importer de Chine et d’Espagne. C.M.