Une casserole sur le feu. Le doux bruit du lait qui chauffe. Certaines odeurs associées qui font se remémorer les goûters ou simplement, des moments d’enfance, ou bien encore d’adultes avec ses enfants. Le fond de la casserole aussi qu’on peut adorer récupérer d’une mie de pain. Ce printemps, nous sommes à mille lieues de ce décor d’innocence d’Épinal. La sensation est davantage sonore. Même si, pour rire un peu dans ce climat aux crises successives toujours tendu, certains manifestants manient bien l’ustensile des fourneaux devenu instrument de fronde, parvenant parfois à obtenir une mélodie percutante et harmonieusement en rythme,après plusieurs répétitions sur les rails, devant les préfectures, etc. Dans cette cacophonie, Emmanuel Macron, le Président de la République, possède ses propres casseroles en 2023, à la mélodie plus discrète mais également détonante. Au sens propre comme figuré, après les Gilets jaunes de 2018. Le chef de l’État, de son côté de la barricade, mitonne sa propre cuisine, de communication. Tous, ou presque, les politiques en général, font de même depuis la nuit des temps, rien de nouveau sous les piquets de grèves.
À un ingrédient près, sans doute : la recette du 21e siècle, trop salée ou pas assez sucrée, ne se boit plus comme du petit lait. L’art oratoire des grands dirigeants est jugé dilatoire pour celles et ceux qui, dans la rue, ne tapent pas sur des bambous. Alors, les casseroles s’insurgent de ce mets qu’elles ne souhaitent plus accepter dans leurs palais. Et à l’instar des pierres et des montagnes, ce sont les couteaux qui finissent par se battre avec les fourchettes dans un brouhaha, couplé à un dialogue de sourds. “Cette soudaine frénésie de terrain est une manœuvre pour essayer, dans la douleur, de tourner la page de la catastrophique séquence réforme des retraites. Le peuple de France n’abdique pas !” s’insurge via un Tweet gazouillé une certaine Carole, en écho. Avec ses notes d’une autre mélodie, le Président Macron, accompagné à Vendôme le 25 avril du ministre de la santé, François Braun, très discret, voire effacé, qui n’aura soufflé mot, a rétorqué à l’envi, en résonance, qu’il comprend les colères, qu’elles doivent s’exprimer, mais “quand les gens ne viennent pas aux rendez-vous, que vous êtes attaqué et que vous n’avez pas de droit de réponse, ce n’est pas démocratique. Si je ne regarde que le décor avec vous, ça ne va pas faire avancer le pays ! Nous ne sommes pas des mobiles sur coussin d’air. Couvrir de sa voix ou d’ustensiles la voix des autres n’est pas un signe de respect.”
Deux salles, deux ambiances, deux démocraties. Et puis, dans cette popote populaire, face aux arcanes du pouvoir, la casserole s’avère être l’objet du quotidien par excellence. Tout comme le gilet jaune que chacun doit posséder dans son véhicule. Mais la casserole se positionne un cran au-dessus. Si quelques-uns s’en étonnent, c’est un outil pourtant bien connu des manifestants qui s’adonneraient ainsi à un “charivari”, comprenez un rituel d’humiliation publique qui remonterait au Moyen-Âge. Aussi, tout le monde possède au moins une casserole dans son foyer pour se sustenter. C’est convivial. La casserole est toutefois régulièrement associée à des tables moins charmantes : chanter comme une casserole, traîner des casseroles (judiciaires notamment comme François Fillon en 2017 qui avait eu droit à ce même traitement bruyant de mémoire), attacher des casseroles à la queue d’un animal en guise de torture… La casserole est également un item que le lecteur croise souvent dans bon nombre de contes pour les petits. Parfois, c’est mignon et le chaudron est magique. Souvent, l’histoire se conclut mal : la sorcière chute dans la grande marmite, le méchant loup passe à la casserole, et caetera. Il était alors une fois… Comment notre conte français sans fées s’achève ? Impossible de prévoir la chute et s’ils vécurent heureux avec beaucoup d’enfants, des pages manquant dans l’immédiat, le four toujours allumé. En tout cas, si les indignés et mécontents de la réforme des retraites avaient choisi la poêle, les expressions auraient sans doute été moins faciles ! Tant que personne ne finit en carafe …
Émilie Rencien