Le 10 octobre, le CESER (Conseil économique, social et environnemental) de la Région Centre Val de Loire, organisait un colloque sur la relance du fret ferroviaire. Les acteurs étaient nombreux dans l’hémicycle régional : opérateurs, chargeurs, élus et même d’autres CESER de France… mais pas un représentant de l’État. Ensemble, ils sont convenus qu’à l’heure où la planète a besoin de la plus grande attention, le fret est une solution efficace pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
La Région Centre-Val de Loire est une grande région industrielle et céréalière. Elle est traversée chaque année par douze milliards de tonnes de marchandises. Dix mille camions circulent chaque jour autour d’Orléans, secteur de logistique s’il en est, en limite sud de l’Ile-de-France. La région Centre cumule à elle seule 10% du trafic nationale ; or c’est la plus petite région de l’Hexagone. Ses objectifs en matière d’environnement et d’aménagement du territoire sont louables, elle veut réduire la part modale de 15% d’ici 2030 et de 30% en 2050. Le fret ferroviaire pourrait l’y aider, puisqu’il est six à sept fois moins polluant que le transport routier.
Une part importante des céréales par exemple emprunte déjà les voies ferrées. Ainsi 80 000 tonnes de blé prennent le train, l’équivalent de 3 000 camions. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant, et l’on est loin de ce que nous pourrions faire si l’on s’affranchissait de certaines barrières.
Alors que l’Allemagne augmente, elle, son fret ferroviaire de 40%, la France semble à contrario se doter d’un « handicap logistique ». À l’image des énergies de demain qui seront un « mixte », le report modal ne se fera pas contre la route, mais avec lui. « C’est une redistribution des rôles qui devra s’opérer entre le train et la route, explique Jean-Claude Brossier, président de la commission de l’aménagement du territoire au CESER. Le train a un rendement écologique incomparable ; il est adaptable à toutes les énergies propres qui vont apparaitre, notamment celui le plus souvent évoqué, l’hydrogène. Mais les camions restent hélas moins chers que le train »….
Les trains de fret sur des voies de garage ?
C’est bien de relance du fret dont on parle. Car si le principe existe depuis des décennies, force est de constater que les trains sont en panne ou sur des voies de garage, faute le plus souvent d’embranchements adaptés, de lignes ou de sillons accessibles, de régularité et de ponctualité, de prix attractifs, etc. La liste des freins est longue, trop longue pour que les acteurs s’entendent comme ils le devraient. Tant et si bien que le fret ferroviaire, qui représentait 17% du transport de marchandises en 2000, n’en représente plus que 9% aujourd’hui.
Sébastien Barthe, directeur logistique de la coopérative céréalière Axereal, la plus grande de France avec 13 000 agriculteurs, explique que « le train est entre 5 et 7% plus cher que le camion. S’ajoute à cela le problème de fiabilité, la question de sillons à prendre entre
fret et trains de voyageurs, et les travaux sur les lignes. J’ai un train sur trois qui n’arrive pas à l’heure chez mes clients et les incidents sont le quotidien de mes équipes ».
Bruno Bouvat Martin est administrateur de l’association des producteurs de blé. Lui met le doigt sur ce qui lui semble être le premier de tous les freins : le manque de prise de décision. « On sait tous que le train, c’est bien. Mais au-delà des colloques, il faut y aller. Au lieu de transporter trente tonnes sur la route dans un camion, un train de fret en transporte mille cinq-cents. Il faut recréer une dynamique logistique avec les lignes capillaires ». (NDLR : les lignes dites capillaires sont les plus petites, celles qui irriguent le territoire au plus près des destinations et des entreprises).
Renaud Jospin, le directeur des carrières de Luché en Poitou-Charente, affrète sept-cents trains chaque année, pour dix millions de tonnes de granulat, l’équivalent de 30 000 camions. « On continue à pratiquer le train, dit-il, mais il est vrai que la machine fonctionne moins bien. On cherche des points de desserte, mais souvent, il y a des travaux, le capillaire est coupé, et les quelques connexions sont de plus en plus rares ».
Le cadre est semble-t-il trop rigide. Les chargeurs ne parviennent pas à s’entendre pour optimiser les coûts comme cela se fait sur la route. Les camionneurs, eux, ont une bourse qui permet aux camions d’aller dans un sens, chargés de céréales et revenir avec des granulats. Les trains, eux, rentrent à vide !
RFF, Réseau Ferré de France, le premier n’est pas exemplaire et démontre cette faiblesse du réseau et des capillaires en particuliers. Si l’on en croit les professionnels, « quand l’entreprise de maintenance de la SNCF refait ses lignes, la moitié du ballaste arrive par la route » !
Mais assez tiré sur l’ambulance : Jean Menu est récupérateur de matériaux issus du recyclage. Il est semble-t-il l’un des rares à donner crédit à la SNCF. S’il regrette certes le manque de flexibilité de la SNCF qui ne tolère pas les modifications, les équipes de prise en main des wagons peu disponibles, il reconnaît à l’entreprise nationale d’avoir tout de même des commerciaux assez réactifs. « La SNCF ne doit pas chercher à augmenter ses prix, dit-il, mais doit faire en sorte d’amorcer la spirale. Il faut une politique tarifaire incitative ». Édouard Laverny, Directeur commercial Pôle Transports Ferroviaires de Marchandises à SNCF Logistic : tente alors une explication : « Il faut, dit-il, une organisation agile pour répondre au plus grand nombre de clients. On développe des axes qui permettent à la fois de massifier et d’être partout sur le territoire. Nous devons par ailleurs travailler ensemble ». Comprenne qui pourra.
Et il reste encore de gros obstacles : comment expliquer que les transporteurs aient le droit d’emprunter les routes nationales quand une autoroute existe en parallèle ? « Il faut un système économique incitatif pour cela ». Et dans le même temps, il manque 50 000 chauffeurs poids lourdS en France et autant dans les pays de l’Est. Preuve que le transport routier fait encore bonne recette, sans que l’on se soucie de l’environnement. Le serpent n’a pas fini de se mordre la queue.
Réhabiliter les lignes de proximité
La région Centre-Val de Loire investit en partenariat public / privé, avec les chargeurs et les entreprises donneuses d’ordre. Investissement dans les lignes structurantes. À en croire son président François Bonneau, elle est prête à cofinancer les embranchements des entreprises sur les lignes principales. Elle vient d’ailleurs d’investir 700 000 euros dans l’embranchement ferroviaire de l’aéroport de Châteauroux, dont elle est gestionnaire.
Les lignes dites « capilLaires », sont les plus petites, les dernières à pénétrer les territoires. Ces lignes sont souvent les moins fréquentées, donc les moins rentables. Citons Tours-Loches, Orléans-Chateauneuf, vendôme-Montoire, mais pour autant, elles doivent être entretenues. Il en va de même des lignes de fret. « Il faut agir sur les infrastructures et sur le model économique, insiste François Bonneau. Rouler à 25 km/h sur des lignes essoufflées, ce n’est pas possible ».
La région Centre-Val de Loire a déjà réhabilité quatre lignes quasi exclusives de fret. Car en substance, l’État dit aux régions, « vous vous en occupez ou vous les fermez ». François Bonneau, qui a fait du train une priorité dans l’aménagement du territoire, négocie pour que le prix de cette remise à niveau soit partagé entre l’État et les régions. Le montant de la rénovation, en région, étant estimé à 500 M€. Rien n’est encore tranché, d’où l’absence sans doute de l’État à cette réunion du 10 octobre. Nathalie Darmendrail, pour la SNCF, rappelle quelques chiffres : « On a 4 M€ de travaux à faire chaque année sur le réseau français, dont 280M€ en région Centre, ne l’oublions pas. Pour cela nous prévoyons à trois ans ».
Et quoi d’autre ? un cluster peut-être
« Il faut inventer un nouveau système, admet François Bonneau. Car tout ne peut pas passer que par l’intervention publique. Quant au tout routier, c’est une hérésie dans le contexte environnemental qui est le nôtre. Il faut pour continuer, solliciter les chargeurs (exploitants de carrières, céréaliers, industriels…), et inventer un modèle économique projeté qui soit rentable pour tous ».
Le CESER propose aussi que l’ensemble des partenaires structurent une organisation, sorte de cluster qui optimise les fonds publics injectés.
J.-Claude Brossier regrette que l’Etat n’ait pas été présent pour entendre les propositions. « Ni ministre, ni même un sous-secrétaire, s’agace-t-il. S’il n’y a pas de volonté exprimée pour une vraie politique ferroviaire, il ne se passera rien ».
Stéphane de Laage