Et Ruhlman a dû céder (partie 2)


En mai 1968, Jacques Blondeau qui, par la suite, deviendra secrétaire de l’Union Locale CGT de Vierzon de 1971 à 1999, est déjà, à moins de trente ans, engagé dans le syndicalisme. Pour cet ardent défenseur des salariés, Mai 68 est celui du constat que, » pour satisfaire des revendications, le rapport de force est indispensable, et… sans l’unité syndicale dans les luttes, rien non plus n’est possible ». A travers le conflit avec les dirigeants de l’entreprise Ruhlman, il décrit tout un mouvement ouvrier, débuté bien avant le printemps, qui a bousculé la société du moment. 

« Mardi 21, accompagné d’une quinzaine de salariés de l’entreprise, je me rend à la manif. Une marée  humaine défile dans les rues. Quel choc pour le jeune militant que je suis. Nous défilons entre les filles de chez GEGE et les hospitaliers…Je n’avais jamais vu ni entendu autant de femmes manifester. Les copains de l’U.L. annoncent près de 5 000 personnes. En fin de première semaine de grève, le patron, qui jusque là restait en observation à l’extérieur, se présente au portail et me fait demander. Il souhaite ouvrir la discussion, mais au préalable il veut vérifier que les ateliers n’ont pas été «  dévastés par les occupants ». Avec la CFDT, nous donnons notre accord mais refusons que le chef d’atelier y participe. Après ce préalable où le patron s’étonne de la propreté des locaux, une première réunion se déroule au premier étage du bâtiment de la conciergerie.

Respectant à la virgule les propositions de François Ceyrac et du CNPF, « ne rien lâcher », Henri Ruhlman s’en tient aux 3% déjà acquis en février, avec une nouvelle rencontre en octobre pour une « légère augmentation supplémentaire… ». D’un seul élan les 6 délégués CGT et les 2 CFDT se lèvent. Je lui dit en quittant la séance :  « vous n’avez rien compris à ce qui se passe dans la pays ! Nous  nous rencontrerons de nouveau quand vous serez plus sérieux. » A partir du lundi 21 mai, l’occupation s’organise. Pas toujours facile, surtout pour les réunions quotidiennes de fin d’après-midi réservées au vote de la poursuite de l’action du lendemain. Nous convenons, avec les salariés, que la majorité des présents fera force de loi pour les décisions. Il est vrai que les quelques non grévistes ne se présentaient jamais à ce rendez-vous. Le 25 mai, l’ U.L. CGT de Vierzon nous informe qu’il s’ouvrira le lendemain, une conférence tripartite, gouvernement, patronat, syndicats au ministère des affaires sociales rue de Grenelle. Le 26, accroché au poste de radio fourni par un copain, Radio Luxembourg retransmet les déclarations de Georges Pompidou, premier ministre.   « la situation est sérieuse… nous avons tous la responsabilité de tirer le pays de la paralysie économique… »  Benoît Frachon, pour la CGT, précise clairement, « les millions de travailleurs en grève ne cesseront leurs actions que lorsqu’ils seront certains de bénéficier des avantages substantiels qu’ils escomptent. ». Au réfectoire, local réquisitionné pour les piquets de grève,  l’oreille rivée au poste de radio, une dizaine de copains commentent :  « on ne reprendra pas avec des clopinettes,… pas moins de 8% sur nos salaires… un grand coup de pouce sur le SMIG…l’échelle mobile des salaires en fonction des prix… la semaine de 40 heures… plus  de  congés payés… ». Le patron, lui aussi dans l’attente des résultats de Grenelle, passe tous les matins. Le 27 mai il se déclare prêt à renégocier dès qu’un accord sera signé… ! En fait, il n’y aura jamais d’accord.

Le même jour, un « constat de fin des négociations » est transcrit sur papier. Les syndicats ne le signeront pas. La CGT demande à la base, dans chaque entreprise, de faire se prononcer les grévistes sur ce  texte et sur la poursuite des luttes, là où cela sera nécessaire. Comme un peu partout en France, nous entamons des discussions avec les patrons. Du 28 au 31 mai, quatre réunions auront lieu. Tout d’abord, réticents à lâcher  « ce qui n’a pas été signé.. », Henri et Victor Rhulmann baissent pavillon devant la détermination des grévistes (aucune volonté de reprise de travail).

En fin de semaine, les « 7%, avant le 1er Janvier » transcrits dans le constat de Grenelle s’ajouteront au 3% obtenus en février. Première victoire, mais les copains estiment qu’il reste des questions non résolues. Le lundi 4 juin, la reprise est votée avec la totalité du contenu, constat de Grenelle applicable aux dates prévues par ce texte, un bleu de travail supplémentaire par an, et quelques améliorations d’ordre sanitaire en atelier… »

Jacques Blondeau (secrétaire de l’Union Locale CGT de Vierzon de 1971 à 1999)