Après une première lecture à l’Assemblée nationale en octobre 2022, puis un passage au Sénat en décembre, la proposition de loi (ppl) Cardoux a été adoptée en deuxième lecture, le 25 janvier au palais Bourbon, avec 98 voix pour et 2 contre, plus quelques abstentions. La fin de l’engrillagement s’amorce, le long combat trouve sa fin. Mais ce n’est que le début d’un chemin qui peut être encore assez sinueux.
Le 2 février 2023, la loi Cardoux a été publiée au Journal officiel de la République française. Définitivement, cette année 2023 marque une étape. Pas uniquement pour la Sologne, pas mal ankylosée en la matière, puisque cette “mode” de hautes clôtures a également été constatée en Normandie ou encore en Picardie. La loi dite DTR de février 2005, relative au développement des territoires ruraux, aurait, selon certains parlementaires, à droite, contribué à cette fâcheuse expansion … Aujourd’hui, histoire de rectifier le tir, le texte du sénateur du Loiret, Jean-Noël Cardoux (LR), dont la vocation est donc de limiter l’engrillagement des espaces naturels est enfin actée (*) : la hauteur des grillages sera désormais limitée à 1,20 mètres de hauteur, avec une obligation de pose à 30 cm au-dessus du sol et un choix de matériaux naturels. Tous les propriétaires terriens ayant installé des clôtures jusqu’à 30 ans avant la publication de ladite loi devront se mettre en conformité. Il est en sus mentionné que le respect de la propriété privée se trouvera renforcée par l’instauration d’une contravention de classe 4 (forfaitaire, 135 euros, qui peut être majorée ou minorée), en cas d’intrusion (à la base, une classe 5 était envisagée, soit une amende pouvant atteindre 500 €, ndrl). Cette “sanction” crispe fortement les uns, férus de grand air, tandis que les autres s’écrient, face à certains abus et incivilités, que c’était la condition sine qua non pour faire passer la loi … Cette dernière a en tout cas bien été adoptée sans modifications le 25 janvier 2023 dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à Paris, un peu moins à l’unanimité qu’en octobre 2022 lors de son premier passage. Bérangère Couillard, la secrétaire d’Etat chargée de l’écologie, a particulièrement ce mercredi-là fustigé la NUPES selon elle, en « opposition systématique. » Le député MoDem du Loiret, Richard Ramos, a pilonné aussi, déplorant d’après ses termes, « de la politique politicienne », ajoutant que « pour la libre circulation des animaux sauvages, on ne fait pas de politique! ».
Contraventions : pas du goût de la NUPES
Quelques minutes plus tôt, à gauche, les députées Lisa Belluco (EELV, Vienne) et Manon Meunier (LFI, Haute-Vienne) avaient en effet été limpides dans leurs expressions. « Le coeur de cette ppl va dans le bon sens », a notamment déclaré la seconde qui s’est abstenue au moment du vote. «Mais le bât blesse, avec l’article 2 qui prévoit une contravention pour les promeneurs sans volonté de nuire, et dont les chasseurs sont exempts. La nature est-elle donc une chasse gardée?» De son côté, le député Pierre Vatin (LR, Oise) a validé « un texte qui répond à une aspiration sociétale, qui n’est pas contre les propriétaires, » tout en dénonçant pour répondre à ses voisines d’opposition, « une guérilla contre les chasseurs », poussant le trait, un brin provocateur : « sans chasse, vous auriez des loups à Paris !». Le précité Richard Ramos, rapporteur de la ppl, qui aura le 25 janvier cité cette fois non pas le lettré Maurice-Genevoix mais l’écrivain et homme de télévision, Jean-Pierre Fleury (Histoires Naturelles, TF1, pour celles et ceux qui s’en souviennent), s’est réjoui d’un travail constructif entre les partis politiques de tous bords (…) ; une grande avancée face au fléau de l’engrillagement, un phénomène particulièrement présent en Sologne appelé la « Solognisation ».”
Un député du Cher, au coeur d’une mobilisation collective
Le travail du député du Cher, François Cormier-Bouligeon (Renaissance,LREM), a par ailleurs été plusieurs fois vanté dans l’enceinte du palais Bourbon toujours le 25 janvier. Car c’est celui qui aura su écouter et surtout entendre les époux lanceurs d’alerte, Marie et Raymond Louis, menant localement l’association des Amis des Chemins de Sologne (18) depuis vingt-cinq ans. C’est l’élu qui aura ensuite agi pour faire remonter la préoccupation au rang national, pour que ce dossier avance. À la tribune à son tour, il aura effectué « une confidence », celle de sa mise en examen pour diffamation lancée par un grand propriétaire à son encontre et envers des journalistes (Le Petit Solognot, Hugo Clément, TV Tours), des associations (les fameux Amis), des élus régionaux et un cinéaste. Justement, si François Bonneau, président PS de la région Centre-Val de Loire, a applaudi avec l’aventurier Nicolas Vanier, “une décision historique après un long combat, » il a précisé avoir « dénoncé au nom de la Région et de ses habitants cette mutilation violente du vaste et merveilleux territoire solognot, auprès des Ministères et gouvernements successifs. Je me réjouis de cette issue qui montre que lorsque la mobilisation est collective, portée avec conviction et sans concession, trans-partisane et ouverte… elle contribue à une issue au bénéfice du plus grand nombre et de nos territoires.»
Des contentieux attendus … redoutés
Oui, mais la suite ? Le vice-président au Conseil régional, Jean-François Bridet, délégué à la biodiversité (groupe socialistes et écologistes) était début 2023 un peu plus nuancé. «La loi proposée présente encore des faiblesses coupables : changer la nature des clôtures à venir sans les proscrire pourra faciliter les flux animaux mais ne règlera pas du tout le problème d’accès des secours en cas d’incendie, » avait-il entre autres soulevé. ‘Ma plus grande peur est que les propriétaires empêchés de chasser dans les enclos actuels et ne désirant pas les modifier pour des raisons économiques se contentent de les abandonner et de déplacer leurs entreprises de mort massive entre les nouveaux grillages permis par la loi. » Dominique Norguet, président du Comité central agricole de Sologne (CCAS), n’oublie pas non plus les exceptions autorisées ! “C’est une loi de responsabilité pour tous les amoureux de la Sologne,” a-t-il réagi, en insistant. “Un décret d’application pour les exceptions prévues par la loi est en préparation. Le ccas restera vigilant.” Ces dérogations seront en effet possibles pour les clôtures qui présentent notamment un intérêt historique, de sécurité routière et d’exploitation agricole. Quelques grands propriétaires, eux, dénoncent déjà “une lutte des classes”. La secrétaire d’État, Mme Couillard, a répété à maintes reprises le même adjectif, à Paris, pour tenter de rassurer certaines voix qui craignent pour leur part une loi passoire. «Des exceptions seront prévues, nous nous attendons aussi à des recours en contentieux, mais je serai vigilante.» En résumé, c’est très français de grogner; cette loi tant escomptée a le mérite d’exister, aussi imparfaite qu’elle puisse paraître aux yeux de quelques sentinelles intraitables et qui surveilleront cela de près.
Émilie Rencien
(*) Pour les curieux(ses), texte consultable sur https://www.assemblee-nationale.fr/et sur legifrance.gouv.fr.