Le 2 février 2023, le Président de la République a promulgué la loi « visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et protéger la propriété privée ». Décryptage avec Louis de Redon, le plus solognot des professeurs et avocats en droit l’environnement.
Le Petit Solognot : Une loi contre l’engrillagement a enfin été adoptée par le Parlement après des années de combat des associations de protection de l’environnement et de randonneurs…
Louis de Redon : Oui, une loi adoptée ! C’est le premier point à retenir. C’est sa première et très grande qualité ! Et c’était très loin d’être gagné… Les vingt années de combat menées sans relâche par les associations ont démontré à quel point le sujet était soumis au poids des lobbys. Il s’agit d’une belle victoire pour la nature, les randonneurs et le vivre ensemble en Sologne. On la doit aux associations, je pense aux Amis des Chemins de Sologne et à l’ASCASE (Chasseurs et amis de la Sologne contre l’engrillagement), mais aussi aux députés du Loiret et du Cher qui ont porté le texte à bout de bras : mes amis Richard Ramos (Modem) et François Cormier-Bouligeon (Renaissance).
LPS : Et donc les grillages en Sologne, c’est (vraiment) terminé ?
LDR : Oui et non. Les grillages devront respecter des normes strictes pour restaurer les continuités écologiques : ils devront désormais laisser passer les animaux ou être enlevés. Par ailleurs, les installations de plus de 30 ans ne sont pas concernées par la loi, notamment les clôtures historiques : le mur du Domaine de Chambord n’est par exemple pas menacé. On notera que les propriétaires disposent tout de même de quatre années pour se mettre aux normes : ces dispositions n’entreront en vigueur qu’au 1er janvier 2027. Une période de transition, dont certains grands propriétaires comptent bien profiter pour livrer une bataille judiciaire à la loi de manière à en limiter les effets ; voire en obtenir l’abrogation, partielle ou totale. Il s’agit donc du début de la fin de l’engrillagement mais pas mal de chemin reste encore à parcourir… La vigilance des associations est donc plus que jamais nécessaire !
LPS : Que prévoit exactement la loi ?
LDR : Les grillages doivent permettre la circulation de la faune : leur hauteur maximale est fixée à 1,20 m, sachant qu’il faut aussi laisser un espace de 30 centimètres au sol. Le non-respect de ces dispositions est durement sanctionné : 3 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende. Il existe cependant de nombreuses exceptions ,comme les clôtures des parcs d’entraînement de chiens de chasse, des élevages équins, des parcelles agricoles et de régénération forestière, ou encore des jardins ouverts au public. Par ailleurs, l’agrainage et l’affouragement sont désormais interdits dans les enclos qui deviennent accessibles à la police de l’environnement ; en particulier l’Office
Français de la Biodiversité (OFB). Enfin, pour équilibrer le texte, une amende de 135 € est maintenant encourue par ceux qui s’aventurent dans les forêts privées sans y être autorisés (pourvu que le caractère privé du lieu soit clairement établi).
LPS : Finalement, que retenez-vous de cette avancée et quelles perspectives s’ouvrent pour notre territoire ?
LDR : C’est une belle étape. La renaturation de la Sologne progresse. Et le vivre ensemble aussi. Quelque part, l’engrillagement est le signe malheureux de notre époque où l’individualisme et le repli sur soi priment trop souvent sur la concorde et l’intérêt général. Les clôtures sont autant de cicatrices posées sur notre territoire qu’un symptôme de l’archipellisation de notre société. Faire tomber les murs qui scindent nos forêts, ou pour le moins les rendre perméables aux échanges, est une merveilleuse nouvelle pour la biodiversité et les promeneurs, c’est aussi un très beau symbole d’humanisme et une promesse d’avenir.