Des boucles d’État et trois ours


Dans une période troublée, il fait bon parfois se replonger dans des contes d’enfance, d’autant plus que nous affectionnons la littérature, et les jeux de lettres qui peuvent en découler. Qui se souvient de Boucle d’or et les trois ours ? Cette historiette mignonne du XIXe siècle, peut-être écossaise, narre une affaire de soupe trop chaude, que de grand, petit et moyen ours laissent refroidir. Soit assez de temps pour une petite fille curieuse aux cheveux très blonds et très bouclés d’essayer les trois bols et aussi les trois lits sans surveillance. Le trio d’ours découvre alors à son retour la petite, assoupie, qui surprise, s’enfuit. Personne ici ne mord ni ne rouspète personne, pas de fée non plus ni de conclusion malheureuse. Juste, sans doute, des brins d’impertinence mêlés d’Oedipe, de nomadisme, d’étranger et de fratrie. Mais il y aurait bien une morale, là comme dans d’autres fables : ne pas (trop) toucher aux affaires des autres, les respecter, puisque certains actes peuvent blesser. En France, ce printemps 2023, Boucle d’Or pourrait être Brigitte Macron. L’épouse du Président de la République, une larme à l’oeil, est venue dire “au revoir” le 17 mai 2023 à Yuan Meng, le tout premier bébé panda né au zoo-parc de Beauval à Saint-Aignan-sur-Cher (41), en août 2017, qui a bien grandi et qui va quitter le Loir-et-Cher en juillet pour prendre ses quartiers dans une réserve chinoise du Sichuan. Derrière une visite de façade “confidentielle” et “intime”, tenue subreptice, en coulisses, assurément de (trop) nombreux véhicules mobilisés et gardes du corps, et seulement, un ou deux médias mis dans la confidence d’une curieuse communication élyséenne. Une autre Boucle avait été croisée en l’année 2014 : un déplacement “surprise” du Président François Hollande au château de Chambord, avait été organisé de manière “privée” … avec certains journalistes triés sur le volet, sans risque de casserolades à l’époque pourtant. La vie (politique) est un lit d’éternel recommencement…
La soupe, sinon, pourrait être servie par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lequel en se déplaçant chez “Happy Vore” à Chevilly, dans le Loiret, entreprise qui propose des petits plats d’alternative végétale, aura fait plaisir aux végétariens, végétaliens et vegans de s’intéresser enfin à d’autres assiettes. Mais le potage était trop salé pour la Confédération française de la boucherie, charcuterie, traiteurs, qui a déploré l’image qu’ “offre l’ancien ministre de l’Agriculture, alors que les éleveurs et artisans bouchers français subissent depuis plusieurs années les campagnes anti-viande déroulant le « tapis rouge » aux produits industriels ultra-transformés,” en l’invitant à pousser “la porte d’une boucherie pour tailler une bavette.” Pas sûr que ceux-là comprendront le combat contre le déterrage du blaireau, un petit ours inoffensif, victime d’une cohabitation compliquée entre son terrier et le monde paysan, que défendent crocs et griffes l’association One Voice dans l’Hexagone (Lyon, Clermont-Ferrand, Eure-et-Loire, Aisne, Vendée, Lot-et-Garonne, etc.), et notamment, une maire de Loir-et-Cher, Catherine Le Troquier, depuis sa commune, Valaire. Cette dernière était à nouveau devant les grilles de la préfecture à Blois le 13 mai, avant une audience le 17 mai au tribunal administratif d’Orléans dans l’espoir d’obtenir l’annulation définitive de deux arrêtés de 2021 autorisant des périodes complémentaires de vénerie sous terre, dans l’Indre-et-Loire et le Loir-et-Cher. Les mets des uns ne sont pas toujours à la bonne température de respect des autres palais …
Enfin, les trois ours, grand, moyen, petit, entravés dans l’exercice de leurs mandats, seront assurément tous les édiles de France et de Navarre. Entre 2021 et 2022, les atteintes verbales ou physiques à l’encontre des élus locaux, notamment les maires et leurs adjoints, ont augmenté de 32 %, passant de 1 720 à 2 265. L’incendie de sa maison et de deux véhicules personnels ont poussé à la démission le premier magistrat de Saint-Brévin-les-Pins (44), Yannick Morez. À Vendôme (41), le maire Laurent Brillard a reçu des menaces verbales de mort. Et caetera. Un lit de banalisation des pressions et agressions … et de boulevard pour des groupuscules d’ultra. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), présidée par David Lisnard, maire LR de Cannes, président de la communauté d’agglomération Cannes Pays de Lérins, et l’entité France urbaine (représentant l’ensemble des métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et grandes villes de France), présidée par Johanna Rolland, maire PS de Nantes, présidente de Nantes Métropole, dénoncent évidemment “des comportements inacceptables dans notre démocratie.” La morale de ce récit moderne ? Souhaitons que des ours bien plus extrêmes ne finissent pas par manger les affaires des fillettes républicaines, face à un État muré dans ses Boucles d’or.

Émilie Rencien