Un teasing avait été effectué en février à l’Hôtel de région d’Orléans. Un mois plus tard, l’œuvre d’ampleur a été dévoilée au détour d’une allée végétale à proximité du château de Chaumont-sur-Loire. Son auteur à la renommée mondiale, Miquel Barceló, n’a pas volé son surnom de “Michel-Ange du XXIe siècle”, et c’est le Loir-et-Cher qui possède la faveur d’abriter l’un de ses talents gravés dans la céramique.
Il serait sans doute possible de rester devant pendant des heures, tant la création “monstrueuse” se révèle fascinante. “Monstrueuse”, entre guillemets, car l’oeuvre “grotte de Chaumont” (c’est son nom officiel), n’est ni effrayante ni esthétiquement discutable. Elle est plutôt d’une magnificence gargantuesque, entièrement en céramique. La saison d’art contemporain du domaine régional de Chaumont-sur-Loire n’ouvre officiellement ses portes et idées au public qu’à partir du 30 mars, mais cette première présentation à la presse donne le ton de la période artistique à venir, en plaçant la barre déjà très haute. Miquel Barceló, l’artiste auteur, originaire de Majorque, en Espagne, n’avait pas apporté le 1er mars à Chaumont le soleil de son île où il se baigne quasiment tous les jours selon sa légende personnelle, mais la chaleur se trouvait dans les coeurs amateurs réjouis de découvrir la richesse in situ de cette oeuvre détonante. “Ce fut un vrai défi techniquement et artistiquement,” a confié l’illustre peintre, dessinateur, graveur, céramiste et sculpteur sexagénaire, internationalement (re)connu, d’un courant qualifié de néo-expressionniste, aimant le travail des matières organiques et des figures antropomorphes, animales. L’intéressé a en effet dû penser à un four spécial et exceptionnel, “de neuf mètres sur six, sur roues”, dans son atelier espagnol, capable d’accueillir et de cuire “à température” (1 150 degrés quand même) ce “monstre” qui pèse le modique poids sur la balance de huit tonnes ! Son transport de l’Espagne aux bords de Loire français via un camion fut assez épique, il se murmure en coulisses, mais tout a fini par arriver à bon port et en entier. L’installation, très résistante, habillée de pierre et de lierre, nichée dans un bosquet, près du château de Chaumont, vaut d’autant par conséquent le déplacement.
“Des images à voir”
C’est-à-dire ? Il s’agit d’un animal qui affiche une bouche béante, grandement ouverte, comme une invitation au voyage en terrain inconnu et jamais vu. Un monstre pour les uns, un poisson préhistorique pour les autres avec son aileron (ou corne?) à l’arrière de son corps rond. Les yeux de la créature sont plutôt sympathiques, empruntant la couleur de ses pupilles à celles de son maître Barceló, il paraît. Peut-être est-ce un leurre, mais quoiqu’il en soit, notre regard y pénètre sans crainte et avec curiosité, en dépit d’une cavité noire, pour “les pas sages” (ou trop indiscrets?) au fond de cette caverne moderne d’un nouveau genre pictural et sculptural. Sur les murs, à l’instar notamment de la grotte Chauvet en Ardèche, des dessins et traces de la main de l’Homme, pêle-mêle, dans des gris et blancs, réalisés sur une terre molle avant cuisson : chevaux embrassant un poisson, cheval femelle avec des tétines comme une louve de Rome, têtes de bélier et de chèvres, empreinte de main humaine, langue géante rosée-rouge représentant l’atelier du créateur, et même, pour les observateurs(trices), autoportrait nu et sexué de l’artiste majorquin (c’est lui-même qui l’affirme!) … Une sorte d’auberge espagnole figurative. Ce que cela représente exactement ? Miquel Barceló, qui a beaucoup échangé avec les scientifiques des grottes paléolithiques de notre Hexagone, n’en mentionne aucune idée définie ! Ou tout au moins, ne veut sans doute pas trop orienter la pensée des visiteurs. Cette “grotte Chaumont” laissera probablement sa trace historique pour des générations. “Je sais ce que j’ai fait mais je ne sais pas ce que cela veut dire. En fait, je donne des images à voir sans message particulier!” a commenté le Michel-Ange Barceló. “Au début, j’avais imaginé un grand évier ou piscine à poissons, qu’on aurait pu regarder du haut vers le bas. J’ai fait au moins quarante maquettes pendant six-sept mois, mais ça ne me plaisait pas.” Et puis, la magie de l’artiste fut. Et Miquel Barceló, dont le travail est connu et exposé dans tous les plus grands musées du monde, réussit à générer des frissons de piquante curiosité au sein du public loir-et-chérien chanceux de pouvoir admirer une telle proposition d’un art pariétal revisité qui fait mouche, donnant l’envie de se jeter dans cette gueule artistique sans hésiter.
É. Rencien
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Une grotte pérenne qui plus est
Contrairement aux jardins ou à d’autres productions d’art exposées à Chaumont, près de Blois, le joli monstre hors-norme et en céramique de Miquel Barceló restera de manière pérenne en Loir-et-Cher, puisqu’elle a été commandée par la région Centre-Val de Loire à l’artiste d’envergure mondiale. Cette même région a en sus acquis la bibliothèque cristallisée de Pascal Convert, concoctée avec le maître verrier Olivier Juteau, qui fait donc elle aussi partie des collections permanentes du Domaine de Chaumont-sur-Loire qui grandit, grandit, grandit, au fil des ans, sous l’impulsion du travail d’artiste dans sa catégorie en quelque sorte, à savoir la directrice des lieux, Chantal Colleu-Dumond, qui a introduit in situ des touches d’art contemporain depuis seize ans déjà.
É.R.