Le premier bâtiment attaqué par la pelleteuse au bras armé de pinces monstrueuses n’a pas tenu jusqu’à Noël. Fin mars Iena ne sera plus qu’un souvenir.
1960-2017 La résidence Iéna a tenu cinquante sept ans. Ce n’est pas la qualité de son béton qui était en cause, mais les grands ensembles conçus dans les années soixante ne correspondent plus aux besoins actuels. Par ailleurs l’Indre perd régulièrement de la population, les derniers chiffres fournis par l’INSEE, même s’ils sont contestés par les élus, sont dramatiques. La tendance est de mille habitants en moins chaque année depuis le passage à l’an 2000. Pas étonnants que dans ces conditions les cent trente-six logements de la résidence Iéna se soient vidés au fil des mois. Alain Chevalleau, directeur général de Scalis, le bailleur social propriétaire des immeubles, annonçait lors du coup d’envoi de cette démolition, le 5 décembre, que quatre cents logements allaient disparaitre, dans un avenir encore non daté, dans ce quartier !
En 1960 (lire en encadré) l’Indre comptait 250 000 habitants et les grands appartements avec salle de bain étaient une aubaine pour ceux qui cherchaient à habiter en ville au fur et à mesure que se vidaient les campagnes. Les listes d’attentes ont disparu depuis longtemps chez SCALIS ou à l’OPAC. L’enjeu du nouveau PNRU n’est donc plus de reconstruire de nouveaux logements, mais de réintroduire de la mixité sociale à Saint-Jean. On ne sait pas encore par quoi seront remplacés les 136 appartements de la résidence Iéna qui auront disparu en mars 2018. En tout cas ils n’auront plus besoin d’être entretenus ni chauffés et leurs débris seront recyclés et valorisés dans des centres spécialisés.
Du travail pour une quinzaine de jeunes du quartier
Avant que la grignoteuse entre en action un chantier de désamiantage avait été lancé dès le mois de juillet, suivi du démontage des huisseries cloisons à partir d’octobre. Une clause d’insertion sociale obligeait l’entrepreneur, une société basée dans le midi de la France, à réserver une partie des heures de travail aux jeunes du quartier. Un des quatorze jeunes embauchés sur le chantier Iéna a d’ailleurs rejoint les effectifs de l’entreprise et travaille désormais à Aix-en-Provence, d’autres ont été repérés par des entreprises d’intérim et effectuent régulièrement des contrats. L’activité actuelle est beaucoup plus technique et mécanisée, mais quelques postes subsisteront jusqu’à la fin du chantier.
Lors de l’opération de dé-densification du centre de Saint-Jean en 2002, 243 logements avaient disparu. Mais si l’on avait utilisé le foudroyage pour les tours Bertrand et Pyramide, on a repris la technique du grignotage pour Iéna, comme ce fut le cas à l’époque pour la barre Brienne.
Le petit bâtiment de quatre étages qui vient de disparaître était une sorte d’échauffement pour les démolisseurs qui vont utiliser les déblais pour progresser vers les bâtiment de plus haute taille. Mais il faudra avoir recours à un bras surdimensionné lorsqu’il s’agira d’atteindre le haut de l’immeuble. De spectaculaires images de chutes de souvenirs sont encore à venir.
Pierre Belsoeur
A savoir : Si ce chantier a pu être lancé (3,4M€ tout de même) c’est parce qu’il est pris en charge à 70% par l’Etat.
La région, le département et l’agglo apportant 15% de l’enveloppe.
« Ils ont commencé par l’appartement des parents ! »
Jérôme vit et travaille désormais loin de l’Indre. De retour dans sa famille pour Noël, il est venu jeter un œil au chantier Iéna.
Saint-Jean, pour Jérôme, c’est un souvenir vieux de quarante-six ans. Il a probablement fait ses premiers pas dans l’appartement qu’occupaient ses parents à partir de décembre 1966. Au deuxième étage du plus petit des bâtiments de la résidence Iéna, face à l’église Saint-Jean, là où la pelleteuse a attaqué la déconstruction, le 5 décembre 2017 à 11h15 très précisément.
A partir du centre commercial il a retrouvé ses cheminements d’enfant, le petit square, la maternelle Michelet, l’école primaire où il a appris à lire. Mais en face de l’église il n’y a plus qu’une palissade de chantier et un tas de gravats sur lesquels trône une pelleteuse désœuvrée. Lorsqu’on lui montre les premiers coups de boutoir de l’engin le doute n’est pas permis. « C’est bien celui-là, la pelleteuse a attaqué le bâtiment exactement à hauteur de l’appartement des parents. » A-t-il conclu en visionnant nos photos réalisées trois semaines auparavant.
Nulle amertume dans la voix du Castelroussin qui accomplit un remarquable parcours professionnel. Mais les souvenirs reviennent, plutôt agréables. «La maternelle était à deux pas, l’école primaire à peine plus loin. Nous avons joué des heures durant sur les marches de l’église. Normalement je n’avais pas droit d’aller plus loin que le porche de la rue Branly, une interdiction pas toujours respectée. En tout cas, lorsqu’il y avait la fête foraine sur la place face au centre commercial, les parents savaient qu’ils devaient me récupérer aux autos tamponneuses. J’avais sept ans, je rangeais les autos en échange de quelques jetons ».
« On vivait bien à Saint-Jean, nous les gamins nous pouvions jouer en toute tranquillité au pied de l’immeuble. On faisait de la trottinette ou du patin à roulettes sur la rue. Maman nous surveillait de l’appartement. Notre logement, lumineux, était grand. Papa hyper bricoleur, l’avait refait à sa façon ».
Pourquoi les parents de Jérôme ont-ils quitté Saint-Jean pour Brassioux ? A cette époque pour les parents de familles nombreuses, les aides à l’accession étaient très importantes. Avec l’inflation les remboursements d’emprunts devenaient ridiculement bas. Lorsque l’on appartenait aux classes moyennes, même dans leurs degrés les plus bas, devenir propriétaire n’était pas un rêve inaccessible. C’est comme cela que peu à peu la mixité sociale s’est délitée à Saint-Jean, comme pratiquement dans tous les grands ensembles.
P.B.
Elles marchent pour se réapproprier leur quartier
A l’invitation du centre d’information du droit des femmes des citoyennes de Saint-Jean ont mené une marche exploratoire dans leur quartier.
« Est-ce qu’il est facile de se repérer ? Est-ce qu’il y a des endroits où l’espace n’est pas bien dégagé au niveau visuel ? En cas de besoin, pourriez-vous demander de l’aide ? ». Quelques questions du formulaire du CIDFF (centre d’information du droit des femmes) qui avait invité les femmes de Saint-Jean à s’exprimer sur leur quartier à l’occasion d’une marche d’une heure trente à partir du centre social. Cette déambulation traversant le centre commercial, descendant vers les écoles maternelle et primaire Michelet et Frontenac puis, après avoir fait une halte face à l’ancien forum remontant l’allée Branly, passait sous le porche et rejoignait l’avenue du 11 novembre et ses entrées d’immeubles conçues par un architecte qui n’a jamais poussé de nourrisson dans un landau. Retour par l’avenue Bernard Louvet, le rond point de l’avenue Delacroix et l’esplanade qui a succédé aux immeubles abattus lors du premier PNRU (plan national de rénovation urbaine) avant de rejoindre le centre social.
Première constatation, la déambulation permet de libérer la parole. Silencieuses lors de la présentation du projet par les animatrices, les femmes de Saint-Jean se sont exprimées au fil de la marche. Pas dans la traversée du centre commercial, point noir à l’évidence de leur vie de femmes avec la proximité des cafés fréquentés essentiellement pas les hommes au point que, hors réunion, certaines aient demandé une entrée qui leur soient réservées, à l’arrière du supermarché, pour ne pas avoir à subir les réflexions sexistes en traversant un espace où elles ne sont que tolérées. « Moi je n’ai jamais eu de problèmes », tempère une femme d’âge mûr qui porte le voile.
La marche de la dernière chance ?
Pour la majorité des marcheuses « Les caméras ne servent à rien, s’il y a un problème et qu’on appelle la police, les policiers ne viennent pas à Saint-Jean. »
La majorité des premiers commentaires concernent l’état d’entretien des espaces verts et l’éclairage public, insuffisant dans bien des zones de circulation. Les porches sont également pointés du doigt. « L’obscurité fait peur, mais si on les ferme on massacre le marché et on déplace les trafics vers d’autres lieux ».
Les commentaires sont moins pessimistes lorsque l’on rejoint l’avenue Bernard Louvet et son espace vert. On parle même de projet, celui d’ouverture d’un restaurant associatif dans un local fermé dont on attend le fin du bail « La cuisine existe, l’espace de restauration est spacieux » autant d’éléments qui nourrissent le rêve d’une cuisinière comoréenne qui pourrait devenir une des animatrices du projet.
« Il faut restituer l’élément d’animation que constituait le jet d’eau estime Yasmine, une des marcheuses les plus actives. C’est la dernière fois que je participe à une telle démarche, mais j’ai la conviction que cette cette fois il va se passer quelque chose ».
Et effectivement, lors de la mise en commun les femmes ont l’envie d’approfondir ce projet en organisant une nouvelle marche, de nuit cette fois, en intégrant le secteur de la rue Pierre Loti et la Zad des Chevaliers, peut être un samedi, en associant, pourquoi pas, les enfants à la déambulation.
Mais chez les marcheuses comme chez les animatrices, le questionnaire d’exploration doit être source de propositions. On n’est donc qu’au début de la démarche.
P. B.
Saint-Jean a mal vieilli
Lorsque je suis devenu Castelroussin, en 1978 j’avais habité successivement les grands ensembles HLM de Chartres, puis d‘Evreux qui portaient le même nom « La Madeleine » le second est devenu tristement célèbre. A cette époque là, habiter en HLM c’était l’assurance d’avoir un appartement moderne. En me faisant traverser Saint-Jean l’agent immobilier ne m’en avait pas dit de mal, même si manifestement ce n’était pas sa tasse de thé. Je n’ai jamais vécu à Saint-Jean mais n’ai ressenti aucun préjugé défavorable vis à vis du quartier lorsque mon activité de journaliste m’y a conduit. Mais il y a une différence fondamentale entre le traverser en compagnie des élus et du représentant de l’Etat qui présentent des travaux qu’ils ont imaginé pour le bien être de ses habitants « associés aux décisions, il l’ont promis et le parcourir avec les habitantes du quartier en 2017. Des habitantes un peu expéditives avec le comportement de la police sans doute, mais qui nous font ressentir par leur mal être, la difficulté de vivre à Saint-Jean quand on est une femme.
On ne peut pas créer, d’un coup de baguette magique, du lien social. Faire tomber des murs devenus inutiles redonnera une bouffée d’oxygène au quartier en diminuant la sensation d’étouffement. C’est pourtant bien en persuadant les jeunes désœuvrés qu’ils doivent se former pour occuper les métiers de demain, et en leur apportant ces métiers qu’on leur démontrera qu’ils ont leur place dans la société. On retiendra alors de Saint-Jean le dynamisme de sa jeunesse.
P.B.