Une visite de terrain sur les réalités de la psychothérapie institutionnelle contemporaine comme modèle de prise en charge des personnes sévèrement handicapées psychiques était organisée fin avril à la clinique de la Chesnaie. Immersion.
« À l’heure où l’on constate que le virage ambulatoire, par ailleurs extrêmement positif pour la prise en charge d’une très grande majorité de cas de maladies psychiques, n’est pas adapté à certaines pathologies sévères et chroniques car laissant, dans la pratique, des milliers de personnes à la dérive, il importe de revisiter l’image, à tort surannée voire rétrograde, de la psychothérapie institutionnelle », constate Claude Hovhanessian-Gandillon, membre du conseil d’administration du Conseil national handicap et porte-parole du collectif « 100 000 handicapés psychiatriques à l’abandon », avant d’ajouter : « Le taux de succès d’un établissement comme celui de Chailles montre au contraire qu’elle se situe aujourd’hui à la pointe de la performance et complémentaire du secteur public ». L’objectif de ce collectif est d’informer et d’essayer de convaincre les politiques. « Mais pour le moment ils ne font rien », déplore la porte-parole. Cette dernière est à l’origine d’une visite de terrain organisée fin avril, à la clinique de la Chesnaie, suivie d’une table ronde autour de la psychiatrie institutionnelle. Le docteur Jean-Louis Place, directeur et médecin-chef de la clinique de la Chesnaie, a mené la visite et les échanges, en présence du professeur Antoine Pelissolo, psychiatre et chef de service au CHU Henri-Mondor de Créteil, et professeur de médecine à l’université Paris-Est-Créteil. Ce dernier est à l’initiative de la récente lettre collective de 120 psychiatres du secteur public à la ministre de la Santé pour l’alerter sur les dérives du financement de la psychiatrie publique. « Les services de la psychiatrie sont en souffrance avec un nombre de places et de personnel insuffisants pour mener des soins d’une durée satisfaisante, mais ce n’est pas possible de continuer comme ça », explique le professeur avant de poursuivre : « La Chesnaie est l’exemple emblématique de ce qu’il faudrait faire ».
Un cadre exceptionnel
La clinique de Chailles semble donc faire figure d’exception dans le paysage de la psychiatrie française. Tout d’abord par les lieux, car les patients sont accueillis dans un cadre unique, dans un ancien château entouré de verdure et de forêt. Mais aussi par son fonctionnement puisque l’établissement n’est pas fermé et les blouses blanches n’existent pas. « J’exerce ici depuis 32 ans, j’ai l’impression de travailler de façon peu différente mais l’environnement a changé et les contraintes administratives rendent parfois les choses compliquées », explique le docteur Jean-Louis Place. En effet, la clinique participe au mouvement de la psychothérapie institutionnelle qui évolue dans le temps et doit s’adapter aux circonstances et à l’environnement. « Ce mode de fonctionnement est progressivement mis à mal par les décisions politiques et cela devient difficile de maintenir ce type de traitement qui utilise différents outils », ajoute le docteur. L’un des outils les plus importants est la polyvalence des soignants. Trois fois dans l’année, ils changent de fonction et assurent aux côtés des patients des tâches de la vie quotidienne dans différents secteurs (chambre, cuisine, ménage…). « Ce sont des conditions de travail fondamentales pour permettre aux patients de retrouver une conscience de soi, grâce aux interactions avec les soignants », précise Jean-Louis Place avant d’ajouter : « Cette transversalité fait que la parole de chacun a la même place et ils sont au courant de tout ce qui se dit ». Autre particularité : le club de la Chesnaie. Cette association loi 1901 a été créée en 1959 et joue notamment le rôle d’interface avec l’extérieur, en organisant, par exemple, des concerts chaque mois ouverts à tous. Un état d’esprit qui correspond à l’un des principes essentiels de la psychiatrie institutionnelle : la remise en cause de l’enfermement des patients. Pour conclure la table ronde, plusieurs d’entre eux ont souhaité partager leur expérience qui va dans ce sens : « J’ai 62 ans, j’ai fait plusieurs séjours en psychiatrie et en hôpital de jour mais ici, on nous donne les moyens de se sentir plus heureux dans cette démarche douloureuse de prendre soin de soi. On sent bien l’équipe pluridisciplinaire quand on se sent éclaté comme un puzzle ». Et un autre d’ajouter : « J’ai été en psychiatrie mais ça n’avançait pas car j’étais entre quatre murs. Quand j’ai découvert La Chesnaie, j’ai été émerveillée, il n’y a pas de blouses, pas d’étiquettes et grâce à ça j’ai pu avancer dans ma vie. J’assume des tâches, on partage et j’avance ».
Chloé Cartier-Santino
« Coupables d’être malades »
Le collectif « 100 000 handicapés psychiatriques à l’abandon » affirme que « 100 à 150 000 personnes lourdement handicapées psychiques ne sont pas ou insuffisamment
prises en charge par notre système de soins. Elles souffrent d’atteintes caractérisées par une perte du contact avec la réalité, une désorganisation de la personnalité, très souvent des délires et/ou hallucinations et sont ainsi privées de tout ou partie de leur libre-arbitre et donc incapables de pleinement se représenter elles-mêmes ». « On les retrouve au mieux dans leur famille si elles en ont encore une et tant qu’elle résiste, vivant un enfer, dans la rue, en prison après avoir commis quelque délit ou crime sous l’effet désocialisant de la maladie. Donc jugés « coupables d’être malades », soulève Claude Hovhanessian-Gandillon, porte-parole du collectif avant de conclure : « La psychothérapie institutionnelle est l’une des solutions les plus adaptées à un certain nombre de pathologies car elle permet d’accueillir, héberger, accompagner et soigner. C’est un outil remarquable en voie de disparition ».