Ce n’était pas le bon temps, c’était un autre temps. C’était un temps où, devant les portes des usines, les prolos se rassemblaient pour bloquer, filtrer. Cela s’appelait un piquet de grève. Un blocage en bonne et due forme parfois que peu de réfractaires tentaient de franchir. Éventuellement sous les huées, éventuellement sous les injures. Gréviste ou non, chacun assumait alors son rôle et aucun n’interpellait sur les vicissitudes d’entrées en matière parfois houleuses.
À la fin du mouvement, à l’heure du retour dans les ateliers, les uns et les autres n’oubliaient rien. Personne ne faisait une maladie d’avoir été traité de jaune ou d’une autre expression relative à des pratiques sodomites. Personne n’allait porter plainte pour insulte sexiste ou pour insulte tout court. Surtout si les grévistes avaient réussi à obtenir quelque chose … On savait alors qui allait jouer dans l’équipe de foot du Red Star ou du Patronage. On savait avec qui faire un pique-nique, et autres fantaisies, le week-end suivant. Les gens étaient, paraît-il, moins instruits. Plus bruts de pomme. Plus humains et finalement moins cons que des boulons de 8 qui, comme chacun le sait, sont totalement inutilisables pour des trous de 6, ou dès que l’on perd soit la vis, soit l’écrou. Alors que pour des trous du cul !
C’était un temps où on ne traversait pas les voies sans faire attention parce qu’un train pouvait en cacher un autre. C’était celui où les trains n’affichaient pas « complet » ou « supprimé » pour faire croire que le réseau bloqué alors que tous, ou presque, partent et arrivent à l’heure, mais à vide. Au fil des jours qui passent, on retire des pancartes et le tour est joué dans un « mouvement qui s’essouffle ». C’était le temps où les passagers des transports en commun n’étaient pas encore des otages mais des voyageurs capables de marcher, faire du vélo, sans pleurer sur un seul sort, le leur. Des gens même capables de ne pas prendre leur voiture pour aller jusqu’à la salle de sport c’est dire. C’était aussi le temps où on avait juste à traverser la rue pour aller au taff ! C’était un temps où, à la manière de Maurice Thorez, on affirmait qu’il fallait savoir arrêter une grève. On ne s’arrêtait pas en cours de phrase et on la citait en entier « dès que la satisfaction a été obtenue. » En sept mots on changeait toute la donne alors.
C’était un temps où les histoires de bistrots restaient au coin du bar et les brèves de comptoirs pouvaient faire des livres et des pièces de théâtre. Les bistrots sont fermés, les poivrots sont restés et le ministère de la Santé avec l’agence nationale Santé Publique France a décidé d’un commun accord avec lui-même de réduire les dépenses des hôpitaux par un « Dry January », un mois de janvier sans alcool. Décision stupide qui ne prend pas en compte la période des vœux républicains, ou pas, ouvert à tous ou pas, même s’ils sont souvent payés par les contribuables. Celle des galettes aussi… et des palettes qui brûlent devant les usines ou les dépôts.
C’était le temps où télévision « en grève » c’était les infos, formatées et visionnées au préalable par les gouvernants du moment, deux fois par jour et, éventuellement, un film en début de soirée. Sur une seule chaîne en plus. On payait déjà une redevance aussi …
C’était le temps où quand on ne savait pas répondre à une question on la fermait de peur de passer pour un âne. La peur n’évitant pas le danger les bourricots ont conquis de nouveaux territoires avec les applaudissements du public. On n’a même plus peur de se brûler à prendre des vessies pour des lanternes.
C’était le temps où les délateurs de tous poils donnaient du boulot au service public, aux marchands de stylo, aux fabricants de papier. On a juste changé la méthode. Au bout des claviers d’ordi, de celui des iphones les mains sont toujours aussi alertes et les bonnes âmes perpétuellement aussi nocives. Ce n’était pas le bon temps, c’était un autre temps.