Le « billet d’humeur » du Petit Solognot s’affiche, vous le savez chers lecteurs et lectrices, tous les quinze jours en sa page deux. Il veut, ou en tout cas voudrait, vous entretenir de sujets qui sont dans l’air du temps, analyser autant que faire se peut des faits d’actualité. En résumé, le billet d’humeur invite modestement à réfléchir ensemble sur un, ou une, série d’évènements qui ont marqué ce qu’il convient d’appeler l’opinion publique. Parmi les faits marquants de ces derniers jours il y a eu le décès de l’ex-président de la République, Jacques Chirac et son lot de témoignages d’affection, d’amitié et de regrets de la part de Français de toutes conditions sociales et d’obédiences politiques. Il est indéniable, et chacun d’entre nous a pu le remarquer, que la disparition de l’ancien chef de l’État a ému la France. Or, ce n’est pas l’habile homme politique qui a su, en à peine trois décennies, passer d’un siège de député de Corrèze au fauteuil présidentiel qui a fait couler des larmes. Tout le monde s’accorde à le dire : la France a pleuré l’homme Chirac. Il n’est pas inintéressant d’en connaître le pourquoi ? Bien sûr, et la presse nationale durant une semaine entière s’en est faite l’écho, « Chichi » était un ogre à table, il aimait le terroir et les paysans, son tempérament jovial le poussait avec naturel vers ceux et celles qui étaient dans le besoin, il serrait les mains de millions de gens, embrassait des joues sans doute autant, il avait un sens de l’amitié quasi-inné (ses proches l’ont répété) et, pour le plaisir de tous, il n’avait pas la langue dans sa poche et nous séduisait par ses colères mémorables ou par des plaisanteries amusantes et de beaux traits d’esprit. Enfant spirituel du Général de Gaulle il en a pris la posture face à l’extrême droite et sur ce point sa rigueur intellectuelle n’a jamais failli. Et puis, il est l’inspirateur du fameux discours de Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères qui, le 14 février 2003, devant l’O.N.U, a fait connaître au monde le refus de la France à participer à la guerre contre l’Irak aux côtés des Américains. Enfin, il est le premier homme d’État français à reconnaître dans une allocution prononcée le 16 juillet 1995 dans le lieu-symbole qu’est le « Vel d’hiv’ » que « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile a, une fois, commis l’irréparable ». Ainsi, ce jour-là, un président de la République a admis officiellement une responsabilité française dans la déportation vers les camps de concentration nazis de près de 76 000 juifs de France dont 11 000 enfants. Tout cela a conquis le cœur de la nation. Mais en est-ce la seule raison ? Certainement pas ! Il est un phénomène qui n’a peut-être pas été mesuré à sa juste valeur qui a contribué à l’hommage du peuple pour l’ancien président. Le décès de Jacques Chirac a soudain, enfin semble-t-il, réveillé des sentiments que l’on avait cru disparus ou relever d’un autre temps, le passé. Il s’agit de la conscience d’appartenir à un peuple, à « ce cher vieux pays » pour paraphraser Dominique de Villepin, du sens des mots « liberté, égalité, fraternité », de la perception d’avoir connu, et c’est particulièrement vrai pour les plus vieux d’entre nous, de Charles de Gaulle à François Mitterrand en passant par Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, des générations d’hommes politiques qui n’ont rien de commun avec leurs successeurs car ces derniers n’ont pas de vécu historique. En effet, les premiers ont tous éprouvé, certes de diverses façons, la guerre, et ils se sont tous élevés contre elle ; ils ont tous partagé à un moment de leur existence les mêmes difficultés que les citoyens et se sont battus contre ses terribles injustices. De facto ils ont pris part aux chagrins nationaux. Dès lors, sans doute inconsciemment, les millions de Français ont toujours su, tout au fond d’eux-mêmes, que ces chefs d’État successifs ainsi que les ministres de leur époque (on pense à Chaban Delmas, à Pierre Mendès France, à Guy Mollet, Michel Debré, André Malraux, Edmond Michelet et bien d’autres) feraient, malgré des opinions différentes et si l’histoire l’exigeait, front commun contre les disciples nostalgiques du totalitarisme, qu’ils n’accepteraient jamais, par exemple, les dérives idéologiques qui ont élaboré autrefois le malheur de notre pays. Pour tous, l’engagement en politique et leur parcours ont été la suite logique de leur combat d’antan. Aujourd’hui, qu’en est-il de la communauté politique française ? Il est un constat à faire : sans nier la sincérité des idées, l’intellect et la faculté de gérer un pays, nos jeunes politiciens connaissent peu « la France profonde et laborieuse », ils n’ont pas, non plus -et personne ne peut leur reprocher- de vécu historique. Eux, sortent des grandes écoles et choisissent, au gré de leur classement, des postes ministériels et le parti politique qui leur permettront, au plus vite, d’accéder au pouvoir pour construire un autre demain… C’est en cela que la mort de Jacques Chirac, après l’enthousiasme du souvenir populaire qui, sans aucun doute, a été l’expression furtive d’un souhait de renaissance, ferme à jamais le ban d’un long chapitre de l’histoire politique française.