Les années se suivent et se ressemblent avec toujours cette grisaille ambiante. Je ne parle pas de celle qui couvre nos rues et nos jardins, bien normale en cette saison, mais de celle qui est dans nos têtes et dans nos cœurs avec toutes ces insultes, cette violence, cette haine, ces saccages, ce mélange insoluble de revendications intéressantes, car les problèmes existent bel et bien, et en même temps dangereuses et quelque fois débiles qui empêchent tout dialogue et toutes recherches de solutions.
On ne construit pas un avenir sur des ronds-points: 10 morts, des policiers quasiment lynchés, des centaines de licenciements, près de 50 000 personnes au chômage partiel, surtout dans le commerce, des millions d’euros de dégâts, une société fracturée digne d’une lutte des classes génétiquement et tristement française, le sourire envieux et revanchard de Le Pen, de Mélenchon, les gesticulations de Dupont-Aignan qui voudrait tellement être un « grand », les quenelles de Dieudonné, la bave aux lèvres de Ruffin… Ne trouvez-vous pas que cela suffit?
50 000 personnes dans les rues, dont, si on se réfère aux médias des casseurs, des fachos, des ultras, des zadistes, des black block, des voyous, des pillards…, 24% de soutien, 46% de sympathie, plus du côté du portefeuille que du coeur, 8 à 12% pour une éventuelle liste de gilets jaunes aux Européennes… Cela ne fait pas le peuple français (67 millions d’habitants). Le mouvement a obtenu des résultats concrets et a fait redescendre Jupiter de son Olympe, mais attention au syndrôme de la « grosse tête » qui pointe à l’écoute de certains leaders GJ.
Comme souvent dans notre nation, émeutière et versatile, troublante est cette complaisance de politiques, je parle de ceux que l’on dit « républicains », d’intellectuels politiquement corrects, de médias tenant là un super feuilleton, qui ont expliqué, légitimé, voire célébré, cette violence. Il n’est qu’à voir l’émotion suscitée par l’image des 150 jeunes crétins à genoux, les mains sur la tête puis embarqués dans des fourgons de police. Inadmissible ! Allez quoi ils avaient brûlé quelques poubelles, quelques voitures, jeté des boulons et boules de pétanque sur les « flics », pas de quoi fesser un lycéen tout de même!
La révolte fiscale est un phénomène bien connu dans notre pays. Jacqueries, révoltes, révolution sont les poussées de fièvre qui jalonnent l’histoire de France. Elles se sont toutes terminées par la répression radicale ou par la satisfaction des revendications. En tous cas il faut qu’à un moment donné que la contestation se transforme en aspiration, que le désespoir laisse une place à l’espoir, et la haine au dialogue.
Orientant voire fabriquant l’information au gré de leur convenance, les médias colportent et imposent leur vision de l’actualité. À l’heure des fake news, des réseaux « asociaux » et des médias en continu, avec polémiques et buzz rémunérateurs, nous voilà entrés de plein pied dans l’ère du soupçon, de l’ « affaire », de l’insulte gratuite… J’aime beaucoup cette phrase d’Alain Finkielkraut : « La démocratie, c’est l’organisation de la discorde. » La contradiction fait partie de la démocratie, mais il faut qu’elle soit organisée sinon c’est l’impasse et la chienlit. Débattons, dialoguons sans esprit de revanche. Les vautours lorgnent impatiemment : Mélenchon, Le Pen, le PCF, la CGT, et « coucou d’or » à Florian Philippot qui a déposé la marque « Les Gilets Jaunes» en vue des européennes.
En France les personnes qui sont dans une situation difficile ne se remettent jamais en cause, mais accusent les autres. C’est la faute aux puissants, aux patrons, aux riches, à l’élite, à l’étranger, à l’autre. La colère et le désespoir des Gilets Jaunes, il faut les entendre mais faut-il nécessairement les suivre et tout accepter béatement ?
Peut-être y aurait-il mieux à faire que ces horripilantes jérémiades, ces sempiternelles grèves, ces incessantes manifestations bruyantes, ces violences. Peut-être faudrait-il s’attaquer aux véritables problèmes sans sectarisme, sans corporatisme, sans arrière-pensée et ne pas systématiquement rejeter des réformes, des tentatives de réformes, qui tant qu’elles n’ont pas prouvé le contraire, peuvent, qui sait, améliorer les choses. Dans une démocratie nous avons les élections pour sanctionner les erreurs. On ne construit pas en saccageant, en insultant, en haïssant! On construit en dialoguant.
Ne pas bouger, c’est rester sur place et hurler est hystériquement inefficace, disait Marcel, philosophe berrichon du XXème siècle. Il n’avait pas tort! Cherchons les solutions en espérant qu’elles ne viennent pas de la rue bruyante, violente, haineuse… sinon le réveil sera douloureux.
Bonne chienlit et bonne santé !