Blois-Villebarou : Quand le cheval Poulain se cabre


C’était en 2018. Le groupe Carambar & Co soufflait ses 170 bougies en Loir-et-Cher, et annonçait développer l’ensemble de ses marques dont Poulain, avec l’arrivée de nouveaux produits et tablettes au chocolat au lait. Le site agroalimentaire de Villebarou avait pour cette occasion festive ouvert ses murs à la presse. Six ans plus tard, ces mêmes portes risquent de se refermer.
Tout change, se perd. Y compris les douceurs sucrées. C’est bien triste, si le chocolat n’est plus permis lui non plus en localité. Voire pire, disparaît ! Le cher prix à payer quand elles sont dans les mains d’investisseurs et financiers qui ne sont pas enclins aux états d’âmes ? Encore moins, sans doute sensibles aux plaintes des élus et habitants qui voient leurs doux souvenirs partis en fumée. Les chiffres, rien que les chiffres. Il y a quelques jours, un reportage sur TF1 évoquait les odeurs de noisettes torréfiées qui flottent elles encore dans la ville d’Alba, près de Turin, dans le Piémont italien, qui a vu naître Nutella et là où l’entreprise à succès Ferrero possède donc toujours sa plus grande usine qui marche. L’histoire n’est pas similaire, mais impossible de ne pas songer en parallèle à Poulain, son industrie de jadis sise dans le centre-ville de Blois, et le bon parfum gourmand de chocolat flottant dans l’air et les rues, que nous-mêmes, enfant, avons humé. Le temps de l’innocence est passé : le fonds d’investissement français Eurazio, qui détient les marques de confiseries européennes Mondelez (Kréma, La Pie qui chante, Malabar, Suchard, Vichy, etc. ), affirmait en 2017 vouloir particulièrement relancer Carambar en France, et également, remettre en selle le cheval Poulain, originaire de Blois et du Centre-Val de Loire. Ce groupe a ensuite dans cet objectif de développement, empoché 200 000 euros d’aides publiques en 2022 dans le cadre de France Relance (somme a priori conditionnée mais on connaît la chanson d’État qui n’obligera aucunement les bénéficiaires à rembourser…) pour former le personnel et acquérir une nouvelle machine. En 2020, nous avions nous-mêmes acheté et testé leurs tablettes aux laits végétaux (coco, amande) puis un an plus tard, vu une autre tablette surgir, Poulain Noir extra en collaboration avec un autre géant, Saint-Michel, qui y avait inséré ses éclats de biscuits. Plus proche, en mai 2024, à l’heure des vertus de la relocalisation et réindustrialisation scandées à La Chaussée Saint-Victor, le ministre délégué Roland Lescure, suite au sommet Choose France, se félicitait du potentiel des entreprises restant sur le sol français. Malgré tout, après avoir commencé à céder l’an dernier la production de ses poudres chocolatées, et accusant visiblement des cadences et volumes de production amoindris, Eurazeo a décidé de fermer carrément l’usine de Villebarou d’ici la fin 2024. Circulez, il n’y a rien à espérer. D’aucuns remarqueront que c’est le risque inhérent au monde cruel des affaires et du commerce. Cela marche, ou non. On ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs, tout ça. Il n’empêche que le couperet, salé ici, est en train de tomber pour les 109 salariés, et le bras de fer commence entre direction et employés, épaulés par les élus locaux et régionaux. Poulain est pourtant une institution blésoise depuis 1848, et même la plus ancienne marque du groupe Carambar & Co dont les produits, en 2018, affichaient encore la valeur ajoutée d’être tous fabriqués en France. « C’était une marque un peu endormie qui n’avait pas communiqué depuis longtemps », avait souligné Benoît Pasqualini, directeur de l’époque de l’usine de Villebarou, d’après le reportage de notre correspondante sur place, Chloé Cartier-Santino, laquelle expliquait dans nos colonnes : “pour relancer Poulain, une stratégie de développement avait été mise en œuvre, d’abord en communicant à nouveau avec une nouvelle charte graphique aux couleurs jaunes et bleues, tout en conservant le cheval emblématique créé par l’artiste Leonetto Capiello. La deuxième étape fut le lancement d’une gamme de chocolats au lait mi-décembre 2017 avec deux déclinaisons aux noisettes et feuilleté caramel pour toucher les familles, dont le slogan affiché est « Au bon lait de nos régions ». Avec un objectif 2020 de doubler la part de marché sur le chocolat, selon M. Pasqualini. « De nouvelles tablettes fabriquées dans l’usine du Loir-et-Cher, d’où sort aussi la poudre chocolatée. Le bâtiment de 22 000 m² a été conçu par Jean Nouvel comme une gigantesque tablette de chocolat et l’odeur y règne. Sur les lignes de production, 30 000 tablettes à l’heure défilent sur les tapis pour se faire emballer à vitesse grand V avant d’être regroupées par lots de 2, 4, 5 ou 6. Tout cela est mené par des robots ultra-performants et surveillé de près par les salariés.“ Un âge d’or, où il n’y avait pas encore de caries…
É. Rencien