Ben, himself, a vanté l’ego au rythme de «Et moi, et moi, et moi», le 23 septembre. Retour sur une rencontre de 3e type.
Il n’y a, sûrement, aucun lien entre le touche-à-tout Benjamin Vautier, dit Ben, et le chanteur Jacques Dutronc qui ne se seraient jamais rencontrés, hors la malice et la provocation ! Cela n’a pas empêché le volubile artiste octogénaire sudiste de reprendre le fameux refrain du grand Jacques, après Brel, «Et moi, et moi, et moi…» lors du lancement du soixantième anniversaire du mouvement Fluxus, à Blois, unique lieu en France, où un événement de cette importance s’est déroulé pour ces six décennies, semble-t-il pour cette année. Sur le thème de «L’ego indestructible», sujet de son exposition éponyme et exceptionnelle à la Fondation du Doute de Blois, jusqu’au dimanche 27 novembre prochain, Ben a réussi à animer, presque en solo, un point-presse en apportant à la fois questions et réponses. Il n’y avait plus qu’à laisser tourner les appareils d’enregistrement en tous genres pour recueillir les flots de paroles de celui qui vit passionnément, et avec intensité non dissimulée, le mouvement Fluxus depuis son lancement quasi-officiel, à Londres, en 1962, au festival of Misfits, où il rencontra George Maciunas.
Égotiquement vôtre
60 ans après, alors qu’il annonce qu’Alzheimer est en train de le cueillir et le grignoter, Ben n’a pas la mémoire qui flanche tant que ça, en développant la thèse qui est sienne depuis qu’il a compris tout ce qu’il pouvait en tirer face à un public à la recherche de nouveaux repères ou de gourous en matière d’art. L’égo, le moi et moi, restreint les principales bases des CV de tout artiste car même une plante basique a son ego, martèle-t-il. L’ego est naturel. Chacun(e) le pratique. D’autres, avec plus de virulence, que certains un peu plus timides. Mais, comme l’ego n’a pas de freins, ni d’ABS, tout individu a son style, donc son ego, sauf, peut-être les esquimaux .…
Blois, centre du Monde du mouvement Fluxus
L’artiste, en tous genres, cultive plus que tout autre citoyen son ego : «Regardez-moi (mon œuvre), mais ne regardez pas les autres» et moi, Ben, j’accepte «le mal à l’aise» que cela peut engendrer quand on regarde mes vérités qui ne sont pas toutes des conneries (ou l’inverse!)». Se définissant comme un collectionneur-voleur, Ben confirme que Blois est vraiment devenu le centre du Monde avec son musée Fluxus, une réalisation unique en France que les grandes villes du Sud de la France (Cannes et/ou Nice) n’ont pas eu le courage de créer, ce qui autorise à se poser des questions de savoir si elles avaient ou non un ego… Déviant vers la politique politicienne actuelle, Ben se permet de poser la question de savoir si l’ego risque de mener l’humanité à une guerre thermonucléaire, car les peuples ou les individus, en solo, réussissent à créer des situations avec un engrenage de violences qui ne fait que s’accroître. Poutine le prouve chaque jour en menaçant, puis en lâchant du lest, en jouant de son ego. Toujours est-il que, pour Ben, le mouvement Fluxus, même avec ses 60 ans, ouvre le champ du futur avec Internet, mais avec une porte encore plus grande sur l’avenir que cela n’avait été prévu en l’an 60. Et moi, et moi, et moi ? Après un flot ininterrompu de paroles, se saisissant de son unique béquille en soutien de ses 87 ans, Ben se leva et lança, goguenard : «L’ego a faim, pas vous ?». Pirouette qui évita toute question et qui permit à ce bonimenteur de mots et à ce menteur de bonimots de conclure, ainsi, sa prestation, sous l’une de ses phrases juste au-dessus de lui, qui proclame «Discours creux», soit la quintessence même de l’ego, dans toute sa splendeur. Sacré Ben qu’il aurait bien fallu inventer s’il n’était pas né!
Jules Zérizer