La parabole du pâté et des rillettes
C’est décidé, à quelques heures du deuxième tour des élections présidentielles, je m’interdis de dire du mal des uns et des autres. Non pas que, selon une quelconque loi, cela soit prohibé. Tout bonnement, dans un souci d’éthique, et tac, il est hors de question de faire ici l’apologie de l’un et encore moins de l’autre candidat en lice. Du haut de cette chaire virtuelle, je ne vous ferai donc pas part de mes opinions qui sont les miennes et dont vous n’avez probablement que faire. Pas de prosélytisme. Simplement, à quelques jours du dépôt des bulletins dans les urnes, sans barrette, sans chèche, sans bonnet à oreilles et sans kippa, faites lecture de la parole selon moi-même quinze jours après Pâques.
En vérité, je vous le dis. En ces temps là, au buffet de la gare, à l’heure où l’estomac émet ses premiers gargouillis, quasiment au moment où sonnent les 12 coups de midi, vous avez toujours une hésitation. D’abord, comme vous êtes l’avant dernier de la file, arrivé devant le comptoir, vous n’avez plus le choix entre le sandwich au fromage, celui en forme triangulaire – un pistolet comme le sublime les gens d’outre-quiévrain – celui au format mini-baguette, celui avec supplément salade ou sans, etc. Non, quand c’est votre tour, il ne reste plus que pâté ou rillettes. Un choix particulièrement délicat puisque vous n’êtes fan ni de l’un, ni de l’autre. Dans ce genre de situation, vous avez trois solutions : opter pour le pâté, prendre les rillettes ou, finalement, faire une croix sur le casse-croûte de midi. Si on considère que vous avez déjà sauté le repas de la veille, vous vous retrouvez avec la dalle en pente et l’estomac dans les talons. Plus que deux solutions donc… A moins que, vous n’ayez décidé justement de procéder à un régime amaigrissant. On peut toujours envisager une légère diminution de votre surcharge pondérale en cas d’abstinence. Par contre, réellement, est-ce un bien pour votre santé ?
Vous remarquerez que nous n’avons pas parlé de jambon-beurre afin de ne pas choquer ceux qui voit le mal partout. Surtout que, le beurre, depuis le Dernier tango à Paris de Bertolucci, serait un incitateur pour des pratiques que la morale judéo-chrétienne, les autres morales aussi, réprouvent même si, récemment, elles sont régulièrement envisagées à l’égard de membres de corporations honnies telles que celle des journalistes. Pas de discrimination non plus entre les différentes compositions des pâtés et des rillettes. Qu’ils soient à la viande, cochon, veau, vache, mouton, couvée, au poisson, à la courgette à la menthe ou pas, et autres légumes, avec ou sans œuf. Avec sauce samouraï, ou pas. Ah ben, non ça c’est pour les kebabs. Nous ne ferons pas ici de racisme végan ou pro-carnivore, anti-végétalien, végétarien, flexitarien (ceux qui font comme ça les arrange), avec ou sans gluten. On peut cependant donner un point positif pour les végans et autres légumiers: avec eux, on est beaucoup moins embêté pour savoir si la carotte a été arrachée de manière normale, casher, hallal ou pas !
Et de vous triturer les méninges pour un choix qui ne vous convient pas mais doit permettre de vous substanter en attendant un repas moins frugal, plus à votre palais! En plus, sur ce quai de gare, vous savez que vous allez y mettre le prix pour un seul casse-dalle. Même avec une bouteille d’eau plutôt qu’une canette, c’est plein pôt. Nouvelle question que Shakespeare n’aurait pas renié. Votre front appuyé sur un poing, au bout de votre bras replié, l’autre main dirigé vers ce bout de pain tentateur, tel Laurence Olivier dans l’acte III d’Hamlet, vous êtes en situation d’exposer au monde cette question existentielle : « pâté ou
rillettes, that is the question !
Chaque option a ses fans, et on trouve toujours de fervents supporters au dernier moment, particulièrement chez les fournisseurs de pâté et de rillettes. Enfin, ceux qui ont quelque chose à gagner dans l’affaire. Chaque option a ses détracteurs. On se dit que, finalement, le pâté c’est pas si mal même si la texture n’est pas celle qu’on apprécie le mieux. On se dit que, finalement, pour les rillettes, on pourrait peut-être essayé. Y en a qui l’ont déjà fait, c’était au siècle dernier, mais ils ne se rappellent plus très bien du goût que cela avait. Le pâté répond parfaitement aux critères gustatifs et nutritionnels requis et nécessaires à une bonne journée. Vous regardez les rillettes et vous pensez qu’il en est de même. Vraiment, la bouffe c’est quelque chose de difficile à maîtriser. On comprend mieux les difficultés des guides Michelin, Gault et Millau et tous leurs petits frères. « Y en a qu’en bouffe et y en a qu’en crève » disait mon père et de me rappeler que j’entre dans la deuxième catégorie.
Une telle dramaturgie pour un quignon de pain et pourtant c’est ce choix Shakespearien, voir Cornélien, qui est proposé ce prochain week-end. C’était quand même plus rigolo avant, du temps de « Manger des pommes ». Une chose est certaine, que l’on prenne pâté ou rillettes, il faut se nourrir et, quitte à le faire, autant choisir soi-même plutôt que le client, qui vous suit dans la file, le fasse à votre place. Le tout est de savoir si on est capable de bien digérer après !
Ainsi soit-il… Amen, et toutes ces sortes de choses.