Les voyants sont au vert
J’étais tranquille, j’étais peinard… Dreling, dreling a fait le téléphone qui est un très vieux modèle. Allô, ai-je fait d’un ton pressé. « Ici, le Sar Rabindranath-Duval*. Je suis voyant » ai-je entendu. En quelques mots polis, le potentiel enturbanné a été renvoyé à ses boules de cristal, son marc de café soluble, son pendule et ses cartes de tarot. Nonobstant que tout le monde sait pertinemment que pour gagner la partie il faut emmener le petit au bout, et que le pendule n’est efficace que pour creuser un puits, le raccrochage était inévitable : un voyant qui ne voit pas que son interlocuteur n’a pas besoin de lui est entre deux eaux, celle de la faute professionnelle ou celle de l’incompétence. Une certitude, il ne voit pas grand-chose. Pourtant, la profession a de l’avenir. Si vous connaissez Pierre Dac et son Sard dîne à l’huile, Indien de Châteauroux, le « son avenir est devant lui mais il l’aura dans le dos à chaque fois qu’il fera demi-tour… » a pris tout son sens dans la société occidentale. Selon 20 minutes, le journal qui fait la pluie et le beau temps de l’info sur internet, plus fort que Facebook, Instagram, pic et pic et colégram, les trentenaires auraient besoin de soutien spirituel. Non pas religieux, quoique les énervés du bulbe soient de plus en plus nombreux, le métro de Londres en est la preuve, mais du côté de possibles, éventuelles, supposées, capacités divinatoires (et en revenir) « à percevoir une information dans l’espace et dans le temps en dehors de l’usage des cinq sens, par perception extra-sensorielle » (N.D.L.R. Définition Wikipédia). Comme quoi, notre jeunesse si souvent rationnelle l’est nettement moins dès que les écrans d’ordinateurs sont éteints !
Déjà Jupitérien, notre Emmanuel, sans deux ailes eux, et sans fauteuil en osier, a des dons de voyance. Pas tout le temps. Des fois ça marche. Des fois, ça marche pas bien. Quand on est président, la voyance est la moindre des qualités dont on doit se parer. François, notre président de la fois d’avant, était un voyant patenté… La preuve il ne sortait jamais de l’Élysée sans son parapluie. Il avait raison puisqu’il pleuvait dès qu’il mettait le nez dehors. En octobre et novembre, cela peut paraître normal, mais pas en juin, juillet et août. Donc, en qui concerne Irma, l’ouragan mais pas madame, c’était pas terrible dans les semaines ou les jours d’avant. N’allez pas croire qu’Emmanuel, notre président de maintenant, est moins voyant que celui d’avant. Enfin, quand on dit voyant, soyons d’accord, ce n’est pas dans le sens de visible. De ce point de vue là, il est tout bon. Le plan de com, c’est son truc à Emmanuel. Il fût un temps où on suivait, en bande dessinée, les aventures de Martine qui allait à la ferme ou prenait l’avion. Désormais nous avons les aventures d’Emmanuel. Après Emmanuel prend ses vacances sur la côte d’Azur, Emmanuel joue au foot à l’OM – selon les agents du joueur Macron, un transfert ne permettra pas d’atteindre les objectifs de stabilité économique réclamée par l’Europe- Emmanuel pompe 5 € sur les APL, Emmanuel ponctionne 1,7 % de plus sur la CSG des « retraites aisées » à partir de 1 300 €, nous avons eu Emmanuel va à Saint-Barth, et enfin Emmanuel dort sur un lit de camp et se lave avec un seau d’eau. Des aventures que l’on suit pas à pas, image par image. Emmanuel est là, pas las ou alors cela ne se voit pas encore, en bras de chemise, au bras de Denise, pardon, au bras de Brigitte, le visage glabre tandis qu’autour de lui une armée de quadras à barbe de trois jours (à partir de quatre, ça pique et ça fait pas clean devant les caméras) s’acharnent à vouloir être sur les images télé ou les photos.
Pendant ce temps là, quelques syndicats, pas tous, parce le compromis, chose dûe, n’est pas l’apanage de tout à chacun dans le monde des confédérations, ont lancé un mouvement de protestation comme la Croix rouge un appel aux dons pour les Antilles. On espère pour toutes les Antilles, Cuba inclus ? Le temps qu’on en est là, si on pouvait ajouter une pièce ou deux pour Haïti… Mouvement et appel ne sont que fétus de paille quand il en faudrait une meule pour changer les choses efficacement. Pour Emmanuel c’est bien vu. Il surfe sur la vague de ses visions. Les manifs, il les avaient vues venir. Pour éviter tout problème Emmanuel a décidé de faire jouer le coup des ordonnances. Du coup, pas besoin de vote. Comme qui dirait c’est celui qui dit qui dit, quoi. Et puis, une révolte de godillots LREM qui ne voudraient pas se mettre en marche ça l’aurait foutu mal pour une première année de voyance gouvernementale en commun.
De quoi mettre le feu à la roulotte, péter la boule en verre, rendre fou le pendule, et renverser du marc partout.
*Le Sar Rabindranath-Duval est un personnage inventé à l’occasion d’un sketch interprété partiellement en mode improvisation par Pierre Dac et Francis Blanche, des humoristes iconoclastes que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître, ou alors par erreur.
Fabrice Simoes