SUR LA TABLE Un contexte de crise, des habitudes de consommation bouleversées, une montée vertigineuse du digital… À l’heure où la restauration connaît des mutations accélérées, la filière cherche à identifier et à comprendre les facteurs clés de succès. Quels types d’offre et de nouveaux services proposer aux clients ? Quelles méthodes pour les attirer ? Quels modèles performent ? Bernard Boutboul, consultant expert de la restauration, a tenté d’apporter des réponses lors de la troisième rencontre régionale de la restauration à Blois.
ARP
«Un restaurant qui tourne bien repose sur une cuisine de qualité avec une carte courte à base de produits frais et locaux et constamment renouvelée. Il est dirigé par un meneur capable de fédérer autour de lui les bonnes compétences; personnel, fournisseurs, confrères. » Voilà les clés de la réussite selon Bernard Boutboul. Pour ce consultant expert du cabinet Gira Conseil à Paris, il faut changer le modèle économique du restaurant. « Dans un marché en croissance plein d’opportunités, la formule actuelle ne fonctionne plus », a-t-il rappelé devant cent soixante professionnels régionaux réunis au lycée hôtelier de Blois lundi 5 novembre dans le cadre de la troisième rencontre de la restauration. À l’heure où l’on partage les tables comme les plats, que presque un tiers des clients sont seuls au restaurant le midi et qu’ils cherchent à manger vite, la profession peine à se remettre en question. À en croire l’expert, deux établissements sur trois reviennent à une carte simple et réduite. « Cela permet de s’adapter aux nouvelles demandes en proposant un service en moins de trente minutes. Manger sur le pouce n’est plus synonyme de malbouffe et le bien manger, tout comme le retour à des produits frais cuisinés au rythme des saisons, se confirment comme des tendances de fond. L’approvisionnement local et la transparence apparaissent aussi comme des attentes fortes. Enfin, près de six consommateurs sur dix souhaitent qu’on leur raconte une histoire autour des mets. Et cela repose sur les équipes en salle, seules en contact avec le client. »
« La notion fondamentale de service doit revenir dans les salles »
Des métiers de salle à l’évidence insuffisamment valorisés. À la télévision, au cinéma, sur internet… le chef de cuisine est partout. Or, on peut avoir le meilleur chef du monde, sans personnel en salle, aucun client ne goûtera ses plats. Un restaurant qui souhaite se distinguer de la concurrence et réussir doit proposer un service mémorable (technicité, connaissance des produits, attention au client). Et pourtant, les réseaux sociaux ayant libéré la parole, M. Boutboul constate que les consommateurs se plaignent de plus en plus durement du « manque d’humain ». « Ce n’est pas le simple fait de dire que la qualité de service se dégrade, affirme-t-il, c’est plus profond que cela. Les clients parlent désormais d’incompétence, d’arrogance, d’incapacité à comprendre ce qui est demandé ou encore de méconnaissance de la carte. » Mais le problème serait encore plus profond. « Il s’agit bien d’une disparition progressive du bon sens ou tout simplement du sens du commerce », regrette l’expert avant de se féliciter « qu’il y ait encore un certain nombre de professionnels qui aiment faire plaisir à leurs clients, qui les accueillent comme s’ils les recevaient chez eux pour les satisfaire et leur donner envie de revenir. » Et au consultant d’apostiller « c’est curieux d’ailleurs que ceux-là ne se plaignent jamais de baisse de fréquentation ! »
« Les jeunes sont feignants ! Ils ne veulent plus travailler ! »
Mais pour bien accueillir, il faut une équipe formée et motivée. Que faire, alors que la filière manque de bras ? Les restaurateurs sont unanimes: les offres d’emploi ne trouvent pas preneur. Faute d’effectifs, un directeur blaisois se dit obligé de mettre la main à la pâte, un autre choisit de fermer une partie de la salle, un troisième menace de mettre la clé sous la porte. La restauration fait face au manque de personnel chronique et à un turn over record; d’après l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, « la situation devient intenable ». Malgré cela, les restaurateurs refusent en majorité de revoir les critères de recrutement. Ne feraient-ils pas mieux de rechercher davantage des passionnés du produit et des as de la relation client plutôt que des spécialistes des techniques pures ? Des restaurateurs sidérés par ailleurs par le dédain de la nouvelle génération pour leur si belle branche. « Les jeunes sont feignants ! Ils ne veulent plus travailler ! » Mille fois entendu, sur tous les tons, des bouches patronales lors de cet après-midi d’échanges au lycée hôtelier. Caricaturée sous les traits d’ados nonchalants, accros aux smartphones, aux selfies, aux réseaux sociaux et aux applications en tout genre, la génération Z déroute. Une jeunesse qui impose ses codes en entreprise et qui représentera 50 % de la main-d’œuvre d’ici à 2020. Une étude de Junior-Entreprise de Sciences Po Paris dresse le portrait de cette jeunesse qui aspire à plus d’autonomie et d’humanité au travail. Cette enquête atteste que pour « attirer et retenir ces jeunes », les entreprises devront montrer patte blanche et afficher des standards de bien-être au travail élevés (ambiance, horaires à la carte, horizontalité, convivialité et flexibilité). Pour le restaurateur, gérer et bien s’occuper de la clientèle en salle devient une tâche difficile au quotidien. Les clients à la recherche du couple assiette-personnel qui leur procurera le plaisir restent la priorité. Il est donc important de les écouter et de répondre à leurs attentes dans une logique de fidélisation. C’est le seul moyen pour les restaurateurs d’assurer la prospérité de leurs établissements.
Des assiettes renaissance ▶
La troisième rencontre régionale de la restauration s’est déroulée lundi 5 novembre au lycée des Métiers de l’Hôtellerie et du Tourisme du Val de Loire à Blois. À l’initiative conjointe de la région Centre-Val de Loire et de la CCI, 160 participants, dont 105 restaurateurs, ont assisté à la présentation des actions mises en place pour animer et accompagner le réseau de 3 250 restaurants en Val de Loire, notamment en 2019, année placée sous le label « 500 ans de Renaissances ». Dans ce contexte, un dispositif en faveur de l’emploi dans le secteur sera mis en place par l’État, la Région et l’organisation professionnelle des cafés, hôtels, restaurants et établissements de nuit indépendants (UMIH). Ses missions ? Sensibiliser les prescripteurs, mobiliser les demandeurs d’emploi, professionnaliser la main-d’œuvre potentielle et accompagner les professionnels dans le recrutement. Outre le lancement d’une page et d’un groupe Facebook ainsi que la mise en avant du soutien à l’audit du titre d’État de Maître restaurateur, le programme « 500 ans de Renaissances » a été également présenté. L’idée est d’inciter les établissements à proposer des recettes Renaissance, ou tout au moins d’influence Renaissance, tout au long de l’année 2019. « Œufs frits au romarin », « soupe aux lentilles », « poires confites au vin »… Des plats que les restaurateurs de la région Centre-Val de Loire reproduiront dans vos assiettes.