Que dire, qu’écrire même. Les madeleines de Proust manquent cruellement. Pendant que les punaises de lit, salacement, pullulent. Les pugilats aussi : qui défilera, qui ne défilera pas, contre l’antisémitisme, et tout ça. Pire que l’ambiance qui règne chez Astérix et Obélix, au fil des bulles de leur dernier « Iris blanc ». Dans une époque de disharmonie rogue confirmée, pourquoi toujours soulever autant de questions politisées et de querelles, là où il faudrait pour une fois, une seule, faire bloc serré ? L’unité nationale, qu’ils disaient ? Tout devient bien compliqué. Même l’IA, pour intelligence artificielle, cette “aide numérique”, censée simplifier notre vie, pourrait la compliquer; en effet, par exemple, du côté de notre partie, la presse, “personne ou presque n’a vu le grain de sable qui risque bien de pousser vers la sortie le rédacteur de chair et d’os…”, à lire un dossier étayé dans le magazine “Profession journaliste” édité par la CFDT journalistes. De facto, ces sinistres parenthèses refermées, plutôt que de discourir sur des thèmes moribonds, et sans arrêt déchanter, pourquoi ne pas … chanter ? Comme tout devient source de débat, un sujet tombe à point nommé : la chanson « Mon amour » de Slimane, dévoilée en avant-première le 8 novembre dans le JT du 20 heures d’Anne-Sophie Lapix sur France 2, est le titre qui représentera la France au concours 2024 de la fameuse compétition Eurovision. Et… Que dire, qu’écrire même, quand nous demeurons sans voix. Les bons sentiments, l’humanité en a assurément grand besoin. Néanmoins, après le doigt d’honneur, qui n’en aurait pas été un, de la précédente candidate maroco-canadienne La Zarra, qui avait toutefois un brin dynamisé le style français, l’oreille se tend, dubitative. Et se clôt aussitôt, avec un pronostic : nous avons toutes les chances en mai 2024 à nouveau de … perdre ! Puisque la chanson de Slimane s’avère, disons-le de manière politiquement correcte, convenue. Sans fantaisie. Un peu mièvre, ou tout au moins, plus gentiment : tiède. Malgré la tentative d’amour distillé au sein de ses paroles, désolée, elle ne fait pas battre notre petit cœur. Elle n’est pas si désagréable à écouter; d’ailleurs, après plusieurs écoutes, il est vrai qu’on finit presque par trouver les envolées de voix sympathiques. Mais c’est si tristement classique. Pas assez gaulois. Pas aussi fun que la pop sexy et sucrée de Taylor Swift, en body pailleté diffusée sur grand écran cet automne au cinéma. Moins endiablé que le nouveau « Angry » des papys du rock, les Rolling Stones. Nous ne sommes pas en colère; juste, nous restons sur notre faim. D’aucuns y perçoivent déjà un copier-coller du tube des années 1990 de Lara Fabian. Il est vrai que le refrain de Slimane possède un semblant de similitude : « Je t’aime. J’sais pas pourquoi. Je rejoue la scène. Et c’est toujours la même fin qui recommence. Tu n’entends pas ma peine. On en fait quoi ? Est-ce que tu m’aimes ? Ou pas ? ». Et l’auditoire aime. Ou pas, justement ! Pourtant, c’est propret, mignonnet. Cela casse moins les oreilles que le “All I want for Christmas is you” de Mariah Carey ! Et Slimane chante bien mieux que nous-même sous la douche. On cherche. Mais. Les fans de l’artiste seront assurément ravi(e)s.
Et le titre part d’une intention positive. « Cette chanson, je l’ai écrite comme une lettre d’amour que j’envoie à tous les cœurs qui l’écouteront. L’amour. Partout. Toujours. Plus que jamais, » explique ainsi Slimane. Mais, mais. Mais. Nous pouvons retourner le problème dans tous les sens. Mais c’est fade. Pour un concours comme l’Eurovision, où les points accordés par les pays en lice sont souvent davantage politiques que vraiment artistiques, ça manque sacrément du petit truc en plus qui fait frémir le ventre de papillons. Depuis la victoire en 1977 de Marie Myriam, les mélodies s’entassent sans teneur, dans une zone de confort sans saveur. L’an prochain, les votes Eurovisionnaires risquent de nous crier encore, à la façon de Jean de la Fontaine, : « Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! dansez maintenant ». Dans cette valse malaisante, autant fermer le poste et ouvrir à la place, au coin d’un feu plus ardent, le roman “Veiller sur elle”, qui est le nouveau prix Goncourt 2023, signé Jean-Baptiste Andrea. Un auteur, d’origine cannoise, qui nous plaît déjà, car ici, nous “on aime, on sait pourquoi”. L’amour, cher Slimane, ne se commande pas !
Émilie Rencien