Maintenant, c’est pour de vrai


Il paraît que les premiers spectateurs du court métrage Entrée d’un train en gare de la Ciotat, présenté par les frères Lumière au début du siècle dernier, ont eu les jetons. Il paraît qu’après la sortie des Dents de la mer de Spielberg, les naïades étaient moins nombreuses sur les plages en 1975. Il parait qu’il a fallu 10 ans pour que La haine de Kassovitz soit suffisamment infusée pour démarrer les émeutes de 2005. « Mes amis, retenez ceci : il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs. » Ce sont ces mots de Victor Hugo qui concluent Les Misérables de Ladj Ly. Il paraît que le cinéma fait seulement rêver !
Au bout de la rue, une école flambe, une médiathèque, une salle associative, et un gymnase aussi. Des voitures crament. C’est dans les quartiers, là d’où est venue la vraie rage, que les dégâts sont les plus importants. C’est là aussi que la destructuration de l’État est la plus patente. C’est là, au cœur des besoins, que l’on devrait trouver les services publics. Il ne suffit pas d’abattre les barres d’immeubles et d’installer des city-stades pour supprimer les inégalités sociales. Dans les villages, tout autant que dans les quartiers, au nom de la dette, l’humain et les services sont devenus trop onéreux, trop nombreux, trop de tout à la fois. Fondamentalement, la violence est probablement une conséquence du fonctionnement délétère d’une société inégalitaire. Elle ne s’exprime que rarement en campagne, alors que la densification de population des cités devient un accélérateur de tension. Rien à voir avec les prédateurs d’opportunité, pilleurs d’un ou plusieurs soirs. Dans les médias, le pillage a submergé la rage. Rien à voir non plus avec les attaques de mairies, ou de domicile d’élus. Ici, ce sont des mafieux qui sont entrés en guerre, celle de conquête de territoire. Ceux-là n’ont que faire des Nahel, de la police, des élus, des habitants du quartier, des gens des villes et des gens des champs. Le business, y a que ça de vrai.
Même les plus ouverts d’esprits n’échappent pas à la tentation d’un redressement à la dure. Une réflexion qui ouvre un boulevard à tous les rageux d’extrême droite. Ils oublient aussi qu’ils ne seront pas épargnés. Avant de sur-réagir à la Ciotti, quasi matamore originel revisité aux temps modernes, avant de pleurer les nouveaux Chouans éclatés par les nouvelles colonnes infernales de la cité Maurice-Thorez, avant de faire de quelque parti républicain qu’il soit un bouc émissaire choisi pour boute feu, avant tout cela, il faudrait simplement sortir de son pré-carré. Faire de LFI l’agitateur patenté, c’est possiblement se tromper de cible. Faire des quartiers, en général, de l’immigration et des parents dépassés, en particulier, des vecteurs choisis pour expliquer de manière basique les problèmes sociétaux, est tout autant stupide. N’oublions pas que les premiers impactés par les bus qui brûlent sont ceux qui les utilisent tous les jours, qu’une bagnole qui se consume dans une cité appartient à un habitant de l’immeuble d’à côté et que les mômes qui n’ont plus d’école ni de centre de loisirs sont les petits frères….
On a beau jeu de souhaiter que l’ordre règne. L’ordre, c’est bien. Pas une oreille qui dépasse. Pas un orteil en dehors des clous, c’est tellement chouette. Attention, cela vaut pour tout le monde. Pas seulement les olibrius qui ont sévi l’autre semaine. Un ordre établi est le plus souvent antagoniste à la démocratie et aux libertés individuelles. Il est très rarement républicain. Pour une explication cinématographique, allez voir Nouvel Ordre de Michel Franco. C‘est l’histoire d’un cheminement très possible, très limpide et aussi d’une dérive volontaire, souhaitée, orchestrée. Au cas où vous n’auriez pas tout compris, lire la BD La Présidente de François Durpaire et Farid Boudjellal, peut aider.
Au fait, la semaine dernière, le record de température mondiale journalière a été battue deux jours de suite. C’est pas comme si on avait un réchauffement climatique généralisé ! D’ailleurs, on s’en fout, pourvu qu’on consomme. Et comme avec tout ça, on a une semaine de plus pour aller faire les soldes …

Fabrice Simoes