«Débordements ». Le mot est souvent connoté négativement. Or, au château, les œuvres du franco-argentin Pablo Reinoso impulsent un sentiment très positif. Un style visible dans ses murs royaux depuis le 1er mai et à voir jusqu’au 4 septembre.
Détourner des objets du quotidien, c’est le credo de Pablo Reinoso. Un ventilateur d’ordinateur sur un pochon noir, entouré de charbon, donne la vision d’un coussin qui se gonfle et à rythmes réguliers respire, évoquant notre propre respiration humaine. Ou encore une simple bancelle devient alors tentaculaire, comme doté d’une excroissance aux multiples cercles qui sort du cadre. L’un de ces bancs, reconnaissables donc entre tous, est installé dans le parc du château de Chaumont-sur-Loire. Et c’est ce printemps dans un autre château que les chemins croisent à nouveau celui de cet artiste à la renommée internationale, né à Buenos Aires mais parlant très bien français car vivant à Paris. Et pas des moindres : à Chambord ! La demeure de feu François Ier national s’ouvre depuis peu à l’art contemporain dans une démarche de démocratisation culturelle. On se souviendra l’an dernier des sculptures géantes de Lydie Arickx à la forme évocatrice de phallus qui auront parfois étonné les visiteurs de ce monument historique de 500 ans aux habitudes plutôt classiques. «Toutes les oeuvres sont de l’ordre du vivant. Nous avons toujours cherché un dialogue entre les artistes et l’esprit de Chambord. Nous renouvelons l’image du monument et l‘idée du milieu rural, en permettant à tous l’accès libre à l’art. Sans trop bousculer les visiteurs, en accompagnant le public,» a insisté Jean d’Haussonville, directeur de ce Domaine national, lors du vernissage du mois d’avril.
Une libre expression pour susciter la réflexion
Pablo Reinoso ne peut se plaindre de l’ouverture de ces portes chargées d’Histoire à d’autres mondes. Et surtout à une cinquantaine de ses oeuvres (mobilier détourné, prothèses en acier sur des arbres tombés, peintures, structures; certaines idées réalisées et présentées sur place avec du bois et des fils datent de ses 13 ans et des années 1970) sur la thématique du débordement, installées au deuxième étage du château, pour la première fois dans l’escalier à double révolution (il faut lever les yeux pour voir), et également dans les jardins à la française. “Ici, à Chambord, on m’a rarement dit non à ma grande surprise. En fait, on m’a dit oui tout le temps !” a-t-il relaté avant de détailler sa technique, pendant que son fils, Rodrigo gérait la prise de photos. “Depuis 40 ans, je travaille le bois, le métal, l’air. J’aime faire vivre des aventures aux objets. Je ne coupe par contre pas des arbres exprès, je récupère des bois morts.” Son cheminement artistique consiste en effet à injecter du vivant dans ses créations (preuve en est, à l’extérieur, celle qui peut servir de balançoire géante en station debout, tandis que cette autre attire beaucoup les jeux d’enfants, etc.), et à susciter une réflexion plus profonde derrière la légèreté aérienne de ses conceptions, notamment sur ce que l’homme fait de la nature. À Chambord, l’artiste Reinoso multiplie en sus les premières car c’est à cet endroit précise qu’il a déclaré débuter dans l’art topiaire. Le résultat sera visible dès cet été. « C’est-à-dire tailler la nature, les buissons. Mais pas à la française, rationnel; non, comme des cheveux, des bigoudis, les laisser s’exprimer, un peu dans tous les sens.” Déborder donc. Yannick Mercoyrol, le directeur de la programmation culturelle de Chambord, aura parfaitement résumé le style de ce talent libre : un “irrévérencieux poli”.
É.R.